Résistance des corps
La salle d’attente d’un établissement médical, crépusculaire, inquiétante, aux pas et aux paroles feutrés, aux chuchotements indistincts : des lignes noires verticales barrent la lumière, une musique planante esquisse un sentiment d’irréalité. Puis, le personnage qu’on voyait au fond de la salle passe dans une sorte de scanner angulaire flottant au milieu du noir total. Les paroles et les gestes mécaniques de l’infirmière ne nous rassurent pas vraiment, lui non plus vu l’angoisse de ses expressions. Trois personnages sont ainsi convoqués dans ces machines épurées à peine futuristes.
Le scanner dans lequel ils sont analysés précédemment se nomme le Sherlock : il livre les diagnostics, s’occupe des traitements. Il «ne peut pas se tromper», selon les dires d’un médecin.
S’ensuivent trois confrontations montées en parallèle, entre un médecin, dont la caméra épouse le point de vue, et ses patients. C’est là que « Panthéon Discount », Prix de la Jeunesse et Prix du Public au Festival de Clermont-Ferrand 2017, révèle tragiquement son sens : nous sommes dans un univers dystopique étrangement proche du nôtre où la médecine est allée puiser du côté du post-humanisme pour contrôler la vie des gens, leur mémoires, leur visions, leur morts.
L’originalité de « Panthéon Discount », c’est d’abord son ambiguïté spatio-temporelle : ces trois patients sont vêtus d’habits courants de notre époque, ont des problèmes très actuels comme les dettes ou la retraite, et sont brutalement placés dans cet univers en noir et blanc, comme dans un cauchemar géométrique. Ce décalage crée un sentiment d’étrangeté, accentué par le noir et blanc, l’abstraction du décor et l’absence de contexte. D’où l’identification assez immédiate à ces personnages qui sont le seul dénominateur commun entre notre monde et la fiction.
Stéphan Castang explore le même dispositif que dans son précédent court-métrage « Jeunesse Françaises » : les personnages sont placés face caméra, et discutent avec un interlocuteur dont nous, spectateurs, ne connaissons que la voix.
Dans « Panthéon Discount », le réalisateur se situe à première vue du côté du médecin, qui rappelle dans son innocence feinte l’idée d’un système dont il est seulement un rouage, obéissant aveuglement aux commandements du Sherlock. Comme pour les patients, le réalisateur joue sur un décalage : ses intonations bienveillantes, ses formulations communes, la forme de ses paroles, tout cela contraste avec le fond, c’est-à-dire des propositions autoritaires et sordides, qui laissent très peu de place à la volonté des trois patients.
Pour justifier la soumission des patients face au médecin, celui-ci convainc d’abord par son statut, un peu comme dans l’expérience de Milgram, mais également par sa rhétorique liée à l’argent. Par exemple lorsqu’il propose au patient M. Bove, atteint du cancer, un suicide assisté, il ajoute que cette alternative pourra éviter d’endetter ses enfants. Il précise aussi avec une ironie noire : « on est tous un peu obligé de terminer ».
Le cadre est alors vu comme symbolisant l’enfermement des personnages dans un système qui les contrôle, les broie, leur enlève jusqu’à ce qui constitue leur humanité : leurs souvenirs.
Un autre élément constitutif du court-métrage est la présence d’informations numériques qui s’affichent autour des personnages, étant donné que nous voyons l’action du point de vue du médecin et qu’il a fait subir une augmentation à ses yeux en y plaçant des implants. Résultat : il connaît exactement la situation économique, familiale et administrative de ses patients.
Ici, le réalisateur propose une alternative. Le spectateur peut se concentrer sur ces informations, comme le médecin, et ainsi constituer sa vision des personnages sur leurs rapports à la société.Il peut aussi aller au-delà de cet océan numérique toujours en mouvement, et voir la nuance des visages, des expressions, des regards des patients. L’humanité opposée aux possibilités numériques, tel semble être l’affrontement conceptuel central du film.
« Panthéon Discount » est un récit d’anticipation, se situant dans un futur proche mais peut-être bien plus proche de notre époque que nous pouvons le penser à première vue. Rappelons par exemple que les Google Glass sont en phase de test depuis 2012 et qu’elles ont été utilisées dans le secteur médical depuis 2014.
Plus quotidiennement, nos visions ne sont-elles pas déjà occupées par toute sortes d’images, d’écrans censés rendre nos vies plus efficaces, à l’image des implants améliorant la vision du médecin du film ? Nous ne sommes pas à l’abri de la déshumanisation semble nous dire Stéphane Castang, en représentant ce même médecin dont nous découvrons à la toute fin le visage et qui est mis face à ses propres contradictions par un de ses patients: « Il y a un fond de tristesse en vous» lui dit-il. Pas de réponse possible.
Un film choc, le meilleur court-métrage du moment…. terrible, drôle et émouvant. Espérons que les Césars sauront le récompenser. Un petit chef-d’œuvre!