Sélectionné cette année au Festival du Film Court de Villeurbanne et à celui d’Annecy, « Spoon » est un court-métrage d’animation réalisé par Markus Kempken et un récit autobiographique sur l’enfance et la relation tumultueuse de ce dernier avec sa mère. Le cinéaste allemand est réalisateur, caméraman, photographe, animateur et compositeur, multiples talents que l’on retrouve dans « Spoon » qu’il a entièrement réalisé.
Certains souvenirs d’enfance peuvent nous marquer à vie, comme le narrateur de cette histoire qui se souvient que sa mère le frappait avec une spatule en bois, étant petit. Chaque jour, il subissait ses coups répétitifs sans rien dire. La violence des actes le chamboule encore aujourd’hui, adulte âgé de cinquante ans, accompli mais traumatisé.
Markus Kempken nous livre sa propre histoire, un conte contemporain, mêlant la couleur et le noir et blanc. La couleur signifiant la petite enfance et le présent du narrateur, soit les moments de non-violence. Le noir et blanc, quand à lui, plonge le spectateur dans un univers sombre où le bruit de la spatule retentit sans interruption.
Ce que l’on remarque dès la première image de ce court-métrage, est cette voix calme et posée qui conte l’histoire. La voix d’un homme adulte qui raconte ses souvenirs avec un point de vue enfantin. Parler de sa mère fait ressortir l’enfant qu’il était à cette époque-là, qui ne comprenait pas pourquoi sa mère s’en prenait à lui, d’autant plus que celle-ci était très appréciée par ses voisins et les commerçants du quartier qui ignoraient tout de son petit manège.
Le spectateur est envahi par un sentiment d’empathie mais aussi d’impuissance envers cet enfant. Celui-ci souffre et personne ne le voit : le père est au travail, les voisins et les commerçants voient une mère aimante. Seule la sœur est au courant, mais ne dit rien, trop petite pour comprendre. Un seul élément peut laisser supposer l’avènement de cette violence : une scène où le narrateur encore nourrisson voit sa mère se faire battre par son grand-père.
Le cinéaste entrecoupe chaque scène par un noir de quelques secondes pesant sur l’action que l’on vient de voir. Ce noir a un impact important dans le récit car il est synonyme d’ellipse et marque la souffrance temporelle.
Markus Kempken n’utilise aucune musique dans son court-métrage : le silence pèse sur le film. Le tempo est donné par le bruit des objets tapés sur l’arrière du crâne du cinéaste : spatule, cintre, flûte… Ce tapement résonne dans la tête du spectateur bien après la fin du court-métrage. Le personnage garde aussi des marques de ce bruit répétitif, une blessure profonde qui ne se soigne pas, il se cache le visage lors d’un mouvement trop brusque ou cuit des œufs au plat, en observant étrangement sa spatule, objet de sa souffrance pendant des années.
Markus Kempken utilise comme technique d’animation le dessin papier, puis se sert de son ordinateur pour mettre en mouvement et appliquer la 2D. On retrouve ces coups de crayon dans les dessins d’origine, qui se réfèrent aux souvenirs d’enfance dont les contours ne sont pas toujours clairs. Les différentes nuances de gris foncé absorbent le spectateur dans les murs de l’appartement, à l’inverse de l’extérieur plus clair, plus neutre, représentatif du comportement de la mère.
Le cinéaste nous livre ici, certains souvenirs de son enfance de manière juste et ouverte. Son film ne condamne pas, mais ne laisse pas le spectateur indifférent et représente de manière criante les gestes de sa mère sans porter un jugement moral. Le court-métrage secoue, impressionne mais ne propose aucun remède à ce genre de traumatisme. Le film a le mérite, dans un délai très court (moins de quatre minutes), de proposer une histoire forte et poignante mettant en lumière la violence portée aux enfants.