Chainsaw de David Dinetz et Dylan Trussel

À l’occasion de la 13ème édition du festival Court Métrange (19-23 octobre), nous avons demandé à Steven Pravong, son co-directeur, de nous proposer son propre film de la semaine, choisi parmi les 40 courts-métrages sélectionnés en compétition internationale. Il a retenu « Chainsaw » de David Dinetz et Dylan Trussel, un court qui en dit long.

Horreur, 10′, Etats-Unis, 2015, Culprit Creative

Synopsis : En pleine dispute, un couple pénètre dans une maison hantée autour de laquelle rôde un fou qui vient de s’échapper de l’asile. Ce soir-là ils décident de mettre un terme à leur relation.

Plusieurs aspects de « Chainsaw » nous intéressent et si certains d’entre eux ne sont pas pleinement à l’avantage des créateurs, les lignes parfois critiques qui suivent ne doivent pas occulter le plaisir certain qu’on y a goûté.

Tout d’abord, « Chainsaw » réussit le pari difficile de comprimer les joies du film d’exploitation dans un court fulgurant dans lequel se télescopent le vrai et le faux, le réel et la magie (assurément noire) d’un spectacle forain, dans une réalisation maîtrisée. La photographie, irréprochable, oppose les couleurs vives et saturées apportées par le décor principal à la noirceur profonde de ses coulisses ou de la nuit. Dès la séquence introductive, les mouvements d’appareil, d’une élégante douceur, nous aspirent dans le récit, nous préparant efficacement à l’agitation à venir. Laquelle nous est annoncée par l’irruption du générique qui laisse peu de doutes sur le genre auquel nous sommes confrontés. Après quelques mentions qui entrecoupent l’arrivée d’un personnage inquiétant dans une fête foraine américaine typique, le titre s’affiche : « Chainsaw » envahit l’espace de l’écran (dans un choix de lettrage monumental). Et les lancinantes mélodies de carrousels sont soudainement couvertes par la pétarade motorisée de l’objet en question. Le show (car il en est ici toujours question) va bientôt commencer.

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Dans un hommage permanent rendu au genre, « Chainsaw » recourt aux figures archétypales en usage, mettant en scène un couple de teens réglementaire (un blondinet à l’arrogance pénible et sa petite amie effarouchée) séduit par une attraction. Le duo va rencontrer des difficultés de communication avec l’employé d’une « maison des horreurs » qui apporte beaucoup de conscience dans son travail (en l’occurrence, le colosse mutique présenté en introduction). Le cadre référentiel est définitivement posé. Le spectateur, devenu complice du réalisateur, met ce dernier au défi de le surprendre avec une recette à laquelle il a déjà maintes fois goûté (une cascade de films à l’ambiance et /ou aux personnages similaires se croisent dans sa mémoire ravivée).

Le contexte est donc cet univers forain qui nous renvoie inévitablement vers certaines origines du fantastique : lieu où artifices de mise en scène et effets spéciaux étaient expérimentés sur un public encore ébahi par un artisanat habile. Où certaines baraques abritaient des Freaks aux difformités réelles ou fabriquées. Espaces où le public, pour quelques pièces, s’autorisait des émois indignes, renouant avec des terreurs enfantines ou satisfaisant des appétits adultes par quelque show érotique (en un temps où l’Internet et d’autres plateformes n’existaient pas encore).

La fête foraine est (bien entendu) un cadre dans lequel le cinématographe lui-même dut se réfugier à ses débuts. À un moment-clef du récit, son dispositif est rappelé par une plaisante mise en abyme : une paroi de verre en évoque inévitablement l’écran, tissant une frontière entre des spectateurs amusés (plongés dans l’obscurité) et le lieu de l’action (vivement éclairé). « Chainsaw » cite (le fait-il consciemment ?) les territoires de jeu de Méliès l’enchanteur qui mêlait ingénieusement spectacle vivant et art cinématographique, cherchant peut-être à renouer avec une alchimie d’antan.

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Le diabolique du récit, dans une économie de minutes parfaitement réglées, travestit la réalité des personnages principaux en une fiction éprouvante. Ils auraient dû en être les bénéficiaires (ils ont même payé pour) mais se retrouvent, à leur corps défendant (et à la résistance faillible) dans une situation tout autre. Dans ce jeu de dupes, le voyeurisme morbide change de camp et la réalisation modifie habilement les points de vue du spectateur dont l’identification va permuter. À ceci s’ajoutent une ironie et un humour qui ne font pas déshonneur au genre filmique défendu par « Chainsaw ». Ces ingrédients, bien dosés, lui épargnent un pesant statut de parodie.

« Chainsaw » est une très honnête récréation Gore (aux accents de Splatter) conçue pour être consommée sur place. Pas plus. Pas moins (et les auteurs ne sont pas portés par d’autres ambitions). Par ailleurs, un petit twist scénaristique bien inspiré permet de le distinguer de la profusion de courts qui reprennent (sans les renouveler) les codes d’un genre qui fait -décidément- long feu.

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« Pas plus. Pas moins »

Ce constat nous inspire, malgré nous, différentes réflexions sur le producteur-même de « Chainsaw » : Eli Roth. Ce dernier ne pourrait s’offusquer d’être mis en lumière tant son omniprésence pèse massivement sur « Chainsaw » : son nom frappe (littéralement) la surface de l’écran dans le pré comme dans le post-générique à la manière d’une violente estampille. Il est le label « pur gore » supposé rassurer le spectateur sur l’origine contrôlée du film. Les réalisateurs biologiques s’effacent presque des mémoires, engloutis dans l’ombre trop profonde de leur producteur (le fait que leurs noms soient annoncés en toute fin n’arrange pas les choses). Un syndrome d’Henri Sellick, comme pourrait le décréter un institut médico-légal cinématographique après autopsie.

Directeur artistique, le prodige du Massachussetts l’est probablement sur « Chainsaw » -officiellement ou non- tant le traitement efficace porte sa griffe jusqu’au découpage (sans jeu de mots). La photographie implacablement léchée et le soin maniaque apportée aux lumières semble être l’œuvre d’Antonio Quercia, signataire de l’image des deux derniers longs-métrages de Roth : « Green Inferno » et « Knock, Knock ». Coïncidence, ce « lissage » visuel, d’une aseptisation déroutante (jusqu’à l’incongruité), marque un tournant dans la production de Roth. Dans la communauté des fans comme chez les critiques, les deux œuvres en question ont engendré des doutes sur l’inspiration du jeune maître et sa constance qualitative.

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Aurait-on été un peu vite en besogne en désignant le jeune Eli (passionné de bandes horrifiques depuis l’enfance, amateur de violence graphique et adepte forcené du politiquement incorrect) comme le futur maître du Gore ou du thriller horrifique ? Les derniers films de Roth semblent à chaque fois portés par une idée (bonne en l’occurrence) mais qui peine à se déployer au-delà. Des productions qu’il s’avère imprudent de creuser en profondeur tant on risque d’en exhumer les lacunes : un discours de fond mince comme un filet de carpaccio ou involontairement douteux, des effets spectaculaires mais superficiels et des scénarii peu innovants. En termes clairs, Eli Roth vouerait au genre une passion sincère mais serait incapable de l’honorer autrement qu’en offrant, des films du patrimoine, que de pâles décalques … consommables sur place. Pas plus. Pas moins.

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Allons, allons !

Eli Roth n’a que quarante-quatre printemps au compteur et à Court Métrange, même taquinés par quelques doutes, on se garderait bien de sanctionner sa carrière par un blâme infâmant au nom de ses deux derniers films (qui ne sont pas si dégénérés qu’on voudrait le dénoncer).

Nous estimons qu’il dispose encore de ressources et des moyens de trancher la langue de ses détracteurs. Nous attendons d’un œil ferme mais bienveillant son remake d’un Justicier dans la ville (choix de film réactionnaire, ô combien provocateur, qui lui sied à merveille).

Tout comme nous sommes curieux de découvrir les futures œuvres des co-réalisateurs de « Chainsaw » (mince, comment s’appellent-ils déjà, ah, oui) : David Dinetz et Dylan Trussel.

Steven Pravong

One thought on “Chainsaw de David Dinetz et Dylan Trussel”

  1. Un très bon thriller qui ferait passer Massacre à la Tronçonneuse de Tob Hopper, pour un film pour enfants. Âmes sensibles s’abstenir. La musique du générique de fin tournera en boucle dans votre tête pendant un long moment. Fascinant et horrifiant à souhait !

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