IndieLisboa 2016, notre compte-rendu

Passé inaperçu à cause du gros Cannes, le discret IndieLisboa s’est affiché il y a deux mois pendant dix jours à Lisbonne. Que ce soit sur les posters géants, les affiches placardées dans toute la ville ou dans le journal du festival, le symbole-corbeau a posé, mi-songeur mi-humain, muni d’une pipe et d’un fusil, dans les herbes hautes rougeâtres.

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Pour la deuxième année consécutive, Format Court était partenaire de l’événement lisboète (le 13ème du nom) et remettait un prix dans la section « Silvestre » dédiée au nouveau cinéma. Après avoir récompensé Leonardo Brzezicki et son fabuleux « The Mad Half Hour » l’an passé, notre revue a choisi de primer « World of Tomorrow », le dernier film de Don Hertzfeldt, nommé aux Oscars cette année.

Outre les gros focus consacrés cette année à Vincent Macaigne, Jean-Gabriel Périot (un habitué du festival) et Paul Verhoeven, IndieLisboa a conservé son attachement au court (202 courts programmés sur 289 longs) que ce soit dans la section Silvestre, dans les compétitions nationale et internationale ou les programmes spéciaux, comme celui des 30 ans de la Fémis.

Parmi ces films, en figurent quelques uns déjà chroniqués par Format Court tels que « Des millions de larmes » de Natalie Beder, « Hotaru » de William Laboury, « Une sur trois » de Cecilia de Arce, « Scrapbook » de Mike Hoolboom ou « Feest! » de Paul Verhoeven.

Parmi les autres films découverts sur place, citons le très beau « Jean-Claude » de Jorge Vaz Gomes, sélectionné dans une catégorie intéressante, « Brand New » réunissant des films de jeunes auteurs portugais produisant leurs films à l’école ou sans le moindre soutien. « Jean-Claude » est un documentaire né à partir de plaques photographiques trouvées dans une boîte appartenant à la tante du réalisateur. Pour la petite histoire, cette boîte a été dénichée au marché aux puces, au même endroit où Modiano cherchait inlassablement Dora Bruder. Jorge Vaz Gomes s’interroge sur les images qu’il y trouve, sur les destins de ces personnes photographiées, en France dans les années 30, souriant à l’objectif, posant seules ou avec leurs enfants, sur ces gens dont il ne saura jamais rien, qu’il n’aura jamais la possibilité de connaître.

Porté par une voix-off française, le film, très simple et poétique, pose la question de l’incertitude, de la mémoire et du pouvoir de l’image. Que sont devenus tous ces anonymes au moment de la guerre ? Leur est-il arrivé quelque chose ? Comment retracer leur histoire ? Un passage dans le film vaut tous les mots : le réalisateur scrute ces images retrouvées en noir et blanc, cherche à les agrandir pour ne manquer aucun détail et pour s’empêcher d’oublier ceux qui posent devant l’objectif, le et nous regardent.

Autre très beau film, « Hopptornet » (Ten Meter Tower), un nouveau documentaire, suédois pour le coup, conçu par Maximilien Van Aertryck et Axel Danielson. Ces deux réalisateurs ont imaginé un concept étonnant et un dispositif de tournage pour le moins original. Ils ont placé des caméras au bord d’un plongeoir de 10 mètres d’une piscine suédoise et ont filmé les nageurs prêts (ou non) à faire le grand saut. Confrontés à leurs peurs, hésitants, scrutant le fond de la piscine, se parlant à eux-mêmes, sautant sans réfléchir ou préférant redescendre, les nageurs choisissent ou non d’y aller. Une femme de 70 ans saute d’un coup après avoir longuement hésité, des adolescents essayent de s’encourager (« Ma tête dit oui, mon coeur dit non ! »), un jeune garçon a peur du vide alors que sa copine regarde distraitement ses ongles avant de sauter. Le court, simple, drôle, direct multiplie les séquences réjouissantes, que ce soit en immortalisant des orteils au bout du plongeoir, en jouant sur le split screen, en filmant le fond de l’eau, en insérant des très beaux ralentis au moment des sauts ou une musique de Beethoven en fin de film.

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Du côté français, un retour en arrière s’impose avec la sélection de 19 films de la Fémis (ancienne ESEC) à l’occasion de son 30ème anniversaire. Si on a plaisir à revoir le très touchant et juste « Les vacances » d’Emmanuelle Bercot dans lequel une mère, peu friquée, essaye de trouver une solution pour offrir des vacances à sa fille désireuse de partir à tout prix (toute jeune Isild Le Besco), on découvre avec plaisir « Caresse » de et avec Emmanuel Mouret dans lequel le comédien-réalisateur montre déjà l’étendue de son talent, un sens de l’humour et une fraîcheur d’écriture qui fait du bien. Dans ce film de fin d’études, une jeune femme débarque dans la vie d’un ancien élève de classe (Mouret, en train de faire un tennis) car elle ne cesse de rêver de lui sans arriver à se l’expliquer alors que celui-ci est, il faut bien l’admettre, « ennuyeux, mou, pas intelligent ». Lorsqu’elle le retrouve, elle s’extasie (« Tu as les jambes super poilues, c’est extra, on dirait une peluche ! »). Mouret décide alors d’en profiter et propose à son ancienne camarade de coucher avec lui pour mettre les choses au clair (ce qu’il fera souvent dans ses futurs longs-métrages).

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« Par amour » aurait pu être un film d’Emmanuel Mouret, il a pourtant été réalisé par Solveig Anspach, issue de la même formation, dont le court a également été montré à IndieLisboa dans le même focus Fémis. C’est une véritable découverte. Le premier film de « Lulu femme nue » et « L’effet aquatique » est un autre documentaire (décidément). Il se nourrit du dialogue entre la réalisatrice et une jeune femme ayant tué son compagnon parce qu’il en aimait une autre. Les deux femmes n’apparaissent jamais à l’écran, à la place , des images de boucherie en noir et blanc surgissent. Le film retrace l’histoire de ce couple, les motivations de cette femme ainsi que ses regrets (« Quelles sont les images du monde que vous ne pouvez pas voir ? » demande Solveig Anspach. « Les fleurs » lui répond la prisonnière). Le film touchant, lui aussi, ne dissimule rien et parle d’un acte (fou) d’amour (« Je le voulais rien qu’à moi, je voulais mourir avec lui »).

Du côté des films plus curieux, moins appréciés, citons « Solitary Acts #4 » de Nazli Dincel (Turquie, États-Unis), retenu en compétition internationale, et filmant le vagin de la réalisatrice (!). En 8 minutes interminables, une voix-off parle d’immigration, de dislocation, de désir. Ce qu’on retient surtout, c’est la vague histoire d’une fillette de 9 ans perdant sa virginité avec une carotte (…) et ces images bien tristes de poils, de 16mm et de questionnement existentiel inintéressant.

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« The Procedure » de Calvin Reeder, sélectionné, lui, dans la section « Mouth of Madness » (films frôlant les limites, sans peur ni jugement), montre en 4 minutes un homme se réveillant attaché, paniqué, forcé d’endurer une bien curieuse expérience : l’ouverture d’une trappe au-dessus de lui, révélant juste un cul juste au-dessus de sa tête, et offrant une chute sans pareil (un pet du ledit fessier supérieur). On se demande bien comment une telle idée a pu se concrétiser en film..

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Enfin, impossible de ne pas aborder « Coming of Age » de Jan Soldat, un réalisateur très apprécié des programmateurs de festivals, et qui développe un intérêt croissant pour l’excentricité et les pratiques sexuelles atypiques (SM, bondage, zoophilie, …). Avec « Coming of Age » (en compétition Silvestre à IndieLisboa), il s’intéresse à un couple homosexuel vieillissant dont l’un des deux partenaires opère un saisissant retour en arrière en mettant des couches-culottes, réclamant son énorme ours en peluche et dormant dans un lit d’enfant. Soldat filme cet individu, son partenaire (l’adulte de la relation), leurs préliminaires, leur excitation, leur intimité. Soi-disant, le réalisateur ne cherche pas à choquer, mais à montrer différentes sexualités et d’autres types de relations amoureuses dans ses films. Il ne juge pas les personnes filmées, nous laissant choisir de quel côté nous souhaitons nous positionner. Seulement, par ses partis pris, ses images quand même très privées, il nous rend voyeurs, nous met mal à l’aise et nous laisse une impression bien amère devant son film.

L’année passée, à IndieLisboa, nous avions découvert des films formidables à commencer par « The Mad Half Hour », notre premier lauréat à Lisbonne. D’autres films inattendus, appartenant à ce nouveau cinéma, pertinent et essentiel, faisaient également partie de ce lot de découvertes : « Fora da vida » de Filipa Reis et João Miller Guerra (Portugal), « La Chasse » de Manoel de Oliveira (Portugal), « My BBY 8L3W » du collectif Neozoon (Allemagne-France), « Panchrome I, II, III » de T. Marie (États-Unis) et « Shipwreck » de Morgan Knibbe (Pays-Bas).

Notre envie, l’an passé, était de faire connaître ces films importants sur grand écran, à Paris ou ailleurs. Chose en partie faite puisque trois de ces films ont rejoint nos programmations dans le courant de l’année. On ne peut que souhaiter que les films importants découverts cette année à Lisbonne (y compris les plus anciens comme « Par amour » de Solveig Anspach) puissent bénéficier eux aussi de visibilité, quitter les caves et les armoires et être montrés au plus grand nombre.

Katia Bayer

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