« Au bruit des clochettes » est le premier court métrage de Chabname Zariab. Cette co-production franco-tunisienne présentée en compétition nationale au festival du court-métrage de Clermont-Ferrand a remporté le prix de la meilleure première oeuvre de fiction décerné par la SACD. Avec ce film, Chabname Zariab aborde un sujet tabou, celui des réseaux de pédophilie en Afghanistan. Rencontre avec une jeune auteure qui nous parle de son pays meurtri et de la difficulté d’y faire du cinéma.
Qu’est-ce qui t’a amené vers la réalisation de films ?
J’étais expert en dommage pour une compagnie d’assurances. J’avais écrit un roman, « Le Pianiste afghan », j’étais déjà dans l’écriture et j’étais très cinéphile. J’ai aussi un rapport très particulier à l’image et aux films en général, que ce soit pour le cinéma ou la télévision, car quand je suis arrivée en France je ne parlais pas le français et pour une grande partie des immigrés, tout cet apprentissage se fait aussi par la télévision et le cinéma. J’avais aussi la chance d’avoir une mère très cultivée et très littéraire qui nous a baignés dans le cinéma et la littérature. C’est une dévoreuse de livres. Même à l’adolescence, dans ce moment ou on est peut-être plus proches de l’amusement que des livres, elle nous lisait des romans. C’est elle qui m’a transmis ça.
Comment as-tu choisi le sujet des Bacha bazi pour ton premier court métrage « Au bruit des clochettes » ?
C’est un sujet que je ne connaissais pas personnellement mais dont j’avais entendu parler et qui était assez vague, sur lequel je ne m’étais pas attardée. Même si c’est dramatique, je pensais que ça se passait dans des zones très reculées d’Afghanistan. Finalement j’ai vu “The Dancing Boys of Afghanistan”, le documentaire du journaliste Najibullah Quraishi, qui a infiltré les réseaux de bacha, et se faisait passer pour un homme à la recherche d’un jeune garçon. Ce documentaire m’a vraiment bouleversée parce qu’on y explique que c’est un phénomène qui s’étend de plus en plus. Dans les pays musulmans il y a une espèce d’hypocrisie, parce qu’à un moment donné, la scission entre la société des hommes et celle des femmes crée des troubles presque psychiatriques. Il y a des pulsions qui existent et qu’il faut évacuer et les premiers à en pâtir sont les enfants.
Finalement, dans une société qui rejette l’homosexualité, c’est une pratique surprenante.
C’est même entre l’homosexualité et la pédophilie. Mais en même temps, ça ne s’y apparente pas vraiment car il y a un travestissement qui se fait. Ces enfants sont quand même déguisés en fille. C’est quasiment schizophrénique.
Penses-tu que ce film aurait pu être produit ou réalisé en Afghanistan ?
Il n’aurait pas pu y être produit car nous n’avons pas de structures de financement, pas de sociétés de production à l’image des sociétés européennes. Il y a Afghan Film, une structure gouvernementale qui accueille les tournages en Afghanistan et qui permet d’offrir une certaine forme de sécurité pour que les films puissent y être tournés. On ne pouvait pas le financer là-bas mais une fois qu’on a obtenu les financements en France, je voulais vraiment tourner en Afghanistan, à Kaboul plus précisément, et ma productrice était plutôt d’accord. Le moment où nous avons décidé de tourner coïncidait avec les élections présidentielles et le pays à commencer à devenir un peu instable. Ma productrice, qui y envoyait tout de même toute une équipe, n’a pas voulu prendre la responsabilité de mettre cette dernière en danger. Elle avait déjà travaillé en Tunisie et on finalement recréé l’Afghanistan là-bas. Je suis contente du résultat, c’est assez crédible.
Existe-t-il des réseaux de diffusion pour un sujet aussi tabou que celui-ci en Afghanistan ?
Il existe des festivals qui commencent à naître, notamment un festival de femmes, un peu comme le Festival de Films de Femmes de Créteil. Il a été créé à Herat dans le nord de l’Afghanistan par trois réalisatrices. Il y a des réalisatrices brillantes en Afghanistan, mais sans sociétés de production c’est très difficile de mettre en place des projets. Elles le font quand même, elles se battent et arrivent à réaliser de très beaux projets, principalement documentaires, parce que ça coûte moins cher que la fiction, mais il y a vraiment une jeunesse brillante.
Est-ce qu’il y a des difficultés à organiser ce genre d’événement ?
Non parce qu’elles les organisent dans des régions qui sont assez ouvertes. Il y a des gouverneurs qui aident les festivals à se faire. Mais c’est une société malade et on ne peut pas non plus lui en vouloir quand on considère les trente années de guerre qu’elle a vécues. Ça ne laisse pas indemne. Ça bouleverse. Toute l’éducation, toute la vision qu’on a pu avoir peut tout à coup s’effondrer et il faut tout reconstruire. Mais cela se fait petit à petit.
Comment as-tu rencontré le comédien principal de ton film, Shafiq Kohi ?
Je suis très fière de Shafiq. On a envoyé une annonce de casting un peu partout et Shafiq a été le premier candidat. J’ai appelé ma productrice aussitôt pour lui dire d’arrêter le casting. Elle m’a répondu que j’étais folle, qu’on ne pouvait pas s’arrêter là, qu’il fallait à tout prix que je voie d’autres personnes. Quand je l’ai vu et qu’on a fait des essais, ça s’est confirmé. Lorsque j’ai commencé à l’habiller et à le maquiller pour voir ce que ça donnerait à l’image, j’étais absolument convaincue. C’était une très belle rencontre. Shafiq est un comédien professionnel qui est venu assez jeune d’Afghanistan, il fait partie du groupe Aftaab de Ariane Mnouchkine depuis dix ans et a été formé au Théâtre du Soleil. Il n’est pas danseur mais il a fait un travail de danse incroyable. On a fait la chorégraphie ensemble, il fallait qu’il ait une certaine grâce et qu’il puisse adopter des gestes très féminins. Je dansais et il me suivait. Ariane était très contente car c’est également le fruit de son travail. Elle nous a prêté le Théâtre du Soleil pour les répétitions et j’avais du coup ce comédien et cet espace incroyables pour travailler.
Comment, avec le chef opérateur, avez-vous mis en place cette très belle scène finale de danse ?
Avec le chef opérateur, Eric Devin, également ça a été une rencontre extraordinaire. J’avais une image et une durée très précises en tête, je ne voulais pas de cut. Ça a été assez terrible parce que nous avons tourné les deux scènes de danse sur une journée, en Tunisie, sans climatisation, par 40 degrés. Les grelots que Shafiq porte pèsent chacun 4kg et il a dansé sept heures, enfermé avec les techniciens dans cette petite maison. J’avais une pression parce qu’en Tunisie, quand la journée de travail se termine à 19h, tout le matériel est posé et tout le monde s’en va. Pour cette dernière scène où il tourne sans s’arrêter, il était déjà très tard et il a fallu le faire en une seule fois, que tout soit réussi en une séquence. Les figurants s’affaissaient de plus en plus et au bout d’un moment je leur ai demandé de sortir parce qu’ils n’étaient plus dedans et qu’il fallait tout de même qu’on garde cette intensité. J’ai donc demandé à Éric de cadrer très haut, uniquement sur Shafiq. Je suivais de l’extérieur sur l’écran car c’était filmé en caméra portée à l’épaule et Eric s’enfermait avec Shafiq et le faisait danser. Au départ, je voulais un plan beaucoup large, dans le style des derviches tourneurs. Finalement, on ne voit plus la robe et on perd cet effet, mais ça marche très bien, je suis contente du résultat. Il y a une réécriture au montage et finalement le film est très travaillé jusqu’à ce qu’on arrive à une version regardable.
Comment as-tu abordé l’écriture de ce film après avoir écrit un roman. Était-ce ton premier scénario ?
Ce n’était pas mon premier scénario. Je pense que la construction n’est pas si différente. Le scénario est très dialogué, on écrit pas et ne traduit pas de la même façon les émotions des personnages. Dans un roman on peut écrire les sensations du personnage tandis que dans un film il faut pouvoir les montrer. Mais il s’agit toujours de raconter une histoire. Pour moi les deux exercices sont assez liés.
L’écriture et le montage de ce projet ont-ils été longs ?
Ça n’a pas été long mais c’est un projet que j’avais laissé de côté. Je l’avais écrit au moment où j’avais vu ce documentaire, et c’est ma rencontre avec Judith Lou Lévy, ma productrice (Les Films du Bal), qui a fait que je l’ai ressorti. Elle travaillait dans une autre société de production où elle était conseillère en développement et où j’ai développé un long métrage, et elle m’avait demandé de lui proposer d’autres projets. Je lui en ai montré trois. Elle réfléchissait à quel projet prendre et je l’ai un peu devancé en lui disant que « Au bruit des clochettes » me plaisait d’avantage et je l’ai envoyé au CNC. On a eu un très bon retour et on m’a demandé de réécrire quelques passages pour le représenter. Tout s’est fait très vite car nous avons obtenu la contribution financière du CNC puis, quelques semaines plus tard, Arte a préacheté le projet, on a donc pu préparer le tournage. Par la suite, nous n’avions plus d’argent pour la post-production car le tournage en Tunisie a coûté très cher. On a alors eu la chance que Dom Dom Films nous ait quasiment offert la post-production.
Envisages-tu un passage au long métrage ainsi que d’autres films courts ?
Oui. Je prépare actuellement un autre court métrage, on est vers la fin de l’écriture. En parallèle, je suis en train de développer un long métrage qui s’appelle « Les Intégrés » et qui parle de cette notion d’intégration qui me semble un peu étrange,;j’ai un rapport particulier avec ce mot. Je pense qu’on vit en France une crise sémantique et que ce sera le sujet du film.
Propos recueillis par Agathe Demanneville
Article associé : la critique du film