Nietzsche le savait déjà : la danse est le moyen d’expression supérieur. Son Zarathoustra, danseur infatigable, s’en sert à plusieurs reprises pour transmettre aux hommes ses pensées les plus profondes et plus intimes. C’est la seule activité qui lui permet de se sentir libre et léger, qui lui permettra de dire « oui » à la vie malgré le fardeau de la morale et le « poids le plus lourd » de l’éternel retour qui repose sur lui. C’est précisément cette idée de la danse comme art de la liberté et de l’affirmation qui va parcourir, dès la toute première scène, le film de fin d’études de Lisa Krane à l’École Supérieure des Arts et Médias de Cologne, « In uns das Universum » (L’Univers en nous), lauréat du Prix Format Court au dernier festival de Villeurbanne.
Le corps de Li s’entremêle avec celui de Noam dans une lente chorégraphie au milieu d’une grande pièce noire. On voit les veines de ses pieds, les muscles de son dos, les vertèbres de sa colonne et finalement son visage nimbé par la lumière zénithale de l’espace. Bras, jambes, bassins et épaules parfaitement synchronisés, deux mains s’étreignent et des pas anticipent ceux de l’autre et s’enchaînent sans inquiétude. Voici l’ouverture du film, le point de départ de l’histoire de ce jeune couple de danseurs qui, après leur cours de danse, passent leur temps à regarder le ciel nocturne, contempler les étoiles et parler du cosmos : Bételgeuse, supergéante rouge de la constellation d’Orion, est vouée à exploser en supernova. Il s’agit de deux séquences qui, avant le générique, dévoilent déjà les deux aspects qui encadrent le reste du récit. Comme les étoiles destinées à exploser, le corps de Li est peut-être aussi une bombe à retardement : lors d’une visite médicale de routine, les docteurs découvrent à l’intérieur de son corps une étrange malformation qui pourrait mettre fin à sa carrière de danseuse.
Les séquences avec la troupe de danse, en permanente alternance avec les rendez-vous chez les spécialistes et la vie en couple, vont articuler l’aspect cosmologique et clinique du film. Avec l’idée toujours en tête des étoiles qui brûlent lentement leur carburant et la perplexité que suscite la condition du personnage, la réalisatrice aborde ensuite la question fondamentale : qui suis-je ? Vis-à-vis de plusieurs médecins qui étudient son cas, chacun plus inutile que le suivant, Li se verra obligée à se poser des questions par rapport à son identité et à son futur incertain : une opération pourrait-elle changer qui elle est ? Cette malformation a-t-elle déterminé la personne qu’elle est devenue ? Elle trouvera réponse seulement en dansant : grâce au mouvement de son corps, elle va être capable d’accepter sa condition, de refuser de la voir comme un « défaut » mais plutôt comme une partie de ce qu’elle est, comme une composante de la totalité qu’elle représente, comme Bételgeuse dans la constellation d’Orion. Son esprit, celui qui porte le poids de sa condition, est pourtant l’esprit le plus léger et le plus transcendant.
À travers un travail de montage remarquable par Moritz Poth, d’un rythme toujours rapide pendant les séquences à l’hôpital mais fluide et précis au moment de filmer les corps qui dansent, les pensées et émotions des personnages n’auront pas besoin de mots. C’est uniquement quand la musique commence qu’ils sont capables de s’exprimer en toute liberté et de mieux se comprendre l’un l’autre. C’est la force déployée dans leurs mouvements qui va dévoiler leur état d’esprit, leurs préoccupations et certitudes, leur rage ou leur tristesse.
« In uns das Universum » est un constant retour. Bien évidemment, il y a un récit qui avance, une histoire qui se développe, mais il nous ramène à chaque fois aux éléments évoqués dans la première séquence. Il s’agit d’une ritournelle qui arrive avec la musique, composition originale de Tom Vermaaten, évocatrice d’une certaine nostalgie des journées plus simples. Ainsi, le spectateur peut se rendre compte que les images des analyses médicales, des images microscopiques du sang et des tissus de Li, accompagnées de cette musique, peuvent facilement nous faire penser à l’éclat des étoiles, une supernova, une nébuleuse. Enfin, à l’univers en nous.
Article associé : l’interview de Lisa Krane