Rentrée des classes et Blue Jeans de Jacques Rozier

Parce qu’il existe des réalisateurs qui détiennent la jeunesse éternelle, c’est avec plaisir qu’on retrouve dans un DVD paru aux éditions Potemkine, en association avec Agnès B., les premiers courts-métrages de Jacques Rozier, sortis dans un coffret comprenant 4 longs (« Adieu Philippine », « Du côté d’Orouët », « Les Naufragés de l’île de la Tortue », « Maine océan »). Associé à la Nouvelle vague française, ce cinéaste finalement assez méconnu, n’aura pas bénéficié du succès que des auteurs comme Godard ou Truffaut auront connu. Cinéaste du jeu et de l’improvisation, Rozier est l’auteur de véritables odes à la jeunesse et à l’aventure. Ayant réalisé aussi bien des courts que des longs, de la fiction comme du documentaire, Rozier semble parfaitement à l’aise avec son temps et avec les corps d’enfants et d’adolescents qu’il filme. « La Rentrée des classes », réalisé en 1955, et « Blue jeans », réalisé en 1958, sont imprégnés d’un véritable souffle de liberté et de légèreté. La vie se déroule devant les personnages de Rozier tandis que tous tentent d’en saisir les meilleurs instants, les petits riens et les plaisirs du quotidien.

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Petit bijou du septième art, « La Rentrée des classes » est le premier court métrage de Jacques Rozier. Le jour de la rentrée, dans un village provençal, René commence l’année scolaire en faisant l’école buissonnière. Déjà, le jeune réalisateur dévoile une méthode qu’il continuera à exploiter dans son long métrage réalisé en 1966, « Du Côté d’Orouet », celle de la mise en scène du jeu et de l’eau. Alors que René se lance à la poursuite de son cartable jeté dans la rivière, puis finalement tente de capturer un serpent, l’insouciance de l’enfant associée à la nature fuyante de l’eau, qui suit son cours mais reste insaisissable, donne lieu à une brève échappée où le jeu prend le dessus et surpasse toute notion de temps et d’interprétation, sans qu’aucun scénario écrit ne vienne dicter l’enchaînement des événements. Cet abandon au présent, ce cheminement vers l’imprévisible, s’oppose aux scènes de classe où le maître d’école, tel un scénariste, dicte les mots à inscrire sur la page du cahier.

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« La Rentrée des classes » est aussi un hommage à « Boudu sauvé des eaux » de Renoir ou encore à « Zéro de conduite » de Jean Vigo, deux maîtres de Rozier qui parlaient notamment de filmer l’homme dans la nature comme on filmerait un animal dans son élément, une ligne de conduite que l’on retrouve dans le travail de Rozier. Ce film nous offre une beauté un peu sauvage, tandis que les cigales, le bruit de l’eau et la musique de Darius Milhaud ajoutent au lyrisme de la séquence où nous suivons René dans la rivière. Cette longue scène de poursuite, où l’objectif de départ laisse place à l’errance et au jeu, demeure le point culminant du film où l’enfant comme le spectateur se laissent aller à la rêverie et au hasard.

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« Blue Jeans », réalisé trois ans plus tard, met en scène les amours contrariés de deux adolescents à la recherche d’un rencard pour la soirée. Sur les plages de Cannes, ils déambulent à pieds ou en vespa et travaillent leurs tentatives d’approche. Cette fois, le petit garçon rêveur qui poursuit le serpent dans la rivière s’est transformé en beau jeune homme pour qui l’amour est avant tout un jeu, mais un jeu à prendre au sérieux. La caméra et les corps magnifiques des acteurs sont presque toujours en mouvement. Déhanchements sur la jetée, déambulations dans la ville, danses nocturnes et longues étreintes sur la plage, Rozier capte une sorte de frénésie langoureuse qui anime la jeunesse cannoise. Cependant, alors que la voix off d’un des jeunes hommes commente leurs virées quotidiennes, on dénote dans ce discours quelque chose de fataliste, comme si chaque rencontre était vouée à la déception.

« Blue jeans », à la fois rempli d’allégresse et de mélancolie, dépeint une jeunesse d’après-guerre pour qui tout est éphémère, si bien que l’attachement ne fait plus sens. La gravité que l’on retrouve dans les propos du narrateur pousse le spectateur à éprouver une sorte de tendresse pour ce personnage qui exprime son envie de prendre la vie à bras le corps, et de recommencer sans se laisser abattre, une appréhension de la vie qui pourrait s’appliquer aussi bien aux personnages qu’à leur créateur.

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On trouve par ailleurs sur cette édition de DVD de Potemkine une interview de Jean Douchet et un entretien, plus personnel, avec Jean-François Stévenin sur l’homme et le cinéaste qu’était Jacques Rozier, entretien dans lequel il compare l’œuvre de ce dernier à celle, outre-Atlantique, de John Cassavettes. Les deux cinéastes se rapprochent de part leur goût commun pour la mise en scène du jeu qui laisse place à toute sorte de débordement face à la caméra. Rozier nous donne d’ailleurs cette impression d’avoir filmé le déroulement des événements en caméra cachée, à l’insu de ses acteurs, comme s’il s’agissait d’un documentaire. Dans le second entretien, Jean Douchet décrit les cinéastes de la Nouvelle vague comme de jeunes amoureux d’un médium qui n’avait alors que 55 ans, et qui restait encore à découvrir, à expérimenter. Chez Rozier, fiction comme documentaire sont traités de manière égale, avec beaucoup de liberté et de spontanéité. Infiniment libres, presque désinvoltes, les premiers courts métrages de Rozier restent, soixante ans plus tard, une bouffée d’air frais.

Agathe Demanneville

Pour information, ces deux films figurent dans le coffret consacré à Jacques Rozier, sorti chez l’éditeur Potemkine

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