Un moteur s’ébroue dans l’obscurité, une voiture démarre. Il s’agit d’un emblème du gigantisme automobile américaine des années 1950 qui apparaît à l’écran, une Chevrolet Bel Air 1957 d’une étrange couleur aubergine.
La chanson « Que sera sera » s’échappe de son autoradio, chantée non pas par Doris Day dans « L’Homme qui en savait trop » (Alfred Hitchcock, 1957) mais…par la voiture elle-même ! Une valse folle se lance, menée par Claude Cloutier.
Ce cinéaste d’animation et bédéiste est connu au Québec depuis bientôt trente ans pour son humour, son ironie, mais aussi sa bienveillance dans la mise en dessins des contradictions humaines. Il s’attache par exemple à montrer les paradoxes du commerce dans « Le Colporteur » (1988) ou les vicissitudes d’un prince qui peine à embrasser sa princesse endormie dans « Isabelle au bois dormant » (2007).
Claude Cloutier aime à décrire une évolution en accéléré. On trouve celle de toute l’espèce animale et humaine en un peu plus de 5 minutes dans « Du Big Bang à mardi matin » (2000) ou celle des soldats de la Grande guerre passant de vie à trépas dans la terre des champs de bataille dans « La Tranchée » (2010).
Pour « Auto-portrait », présenté à Annecy en 2015, il nous offre un peu de son ironie sur un sujet grave, la surconsommation. Le film est surtout une fantaisie évolutive et hallucinée autour de l’automobile conquérante.
Un ballet automobile entêtant et coloré digne des comédies musicales aquatiques des années 1950 de Busby Berkeley se met en place. Chaque voiture danse et chante, la bouche placée au niveau de la calandre, jouant avec finesse sur l’anthropomorphisme inhérent au design automobile.
Derrière les coups de crayons précis et les chœurs soignés, se dévoile petit à petit une promesse d’une chute d’autant plus inévitable qu’elle se nourrit des excès du début. Au gré de petits inserts incongrus et inspirés comme celui des voitures ivres de pétrole, le film glisse de la fascination au dégout.
On sent l’avènement d’une rupture, ce sera celle de la surconsommation symbolisée par des pompes de gisements à pétrole rythmant également le film.
Le film, comme ses images et sa musique, se bloque alors, dans un moment suspendu où les symboles automobiles s’effondrent littéralement, laissant la place à un vide glaçant. Notre Chevrolet aubergine continue de chanter a capella au milieu d’un champ de ruines automobiles. « Que sera sera » et son insouciance par rapport au futur (« whatever will be, will be » – qu’il advienne ce qui doit arriver) changent de sens. Réactivant un ensemble de signes rassurants au début, la chanson semble évoquer à la fin du film, un rêve fané et abusé. Claude Cloutier utilise la mise en abyme du « Drive-in » où des voitures font face à un écran en plein air pour interpeler un spectateur qui, lui aussi, observe sans agir l’emprise destructrice du pétrole sur la planète.
Fait rarissime pour un film à portée écologique, « Auto-portraits » utilise la force d’évocation graphique de l’automobile pour amplifier son message, terminant de rendre son film contradictoire, inattendu et surprenant.
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Article associé : l’interview de Claude Cloutier