Ce qui frappe dans l’œuvre documentaire du Néerlandais Guido Hendrikx, réalisateur de « Onder ons », primé par notre équipe au festival Go Short de Nijmegen, c’est la maturité avec laquelle il dépeint la réalité. Qu’il aborde les derniers jours d’un alcoolique dans son premier film « Day is Done * » ou qu’il montre des professionnels de la Maréchaussée royale des Pays-Bas en formation dans « Escort », Hendrikx fait preuve d’une justesse de mise en scène qui ne laisse pas indifférent. Cultivant le goût pour la marginalité, il aime à plonger dans les abîmes de l’exclusion sociale pour y révéler les failles de la société contemporaine et, tel un peintre renaissant, il a recours à un clair-obscur métaphorique pour mettre en lumière la part sombre de l’âme humaine qu’il transporte bien au-delà des espérances.
Il est des artistes qui dès leur premier opus se distinguent grâce à la maîtrise de leur sujet, à l’approche empathique qui le met en valeur et au génie qu’ils ont de toucher l’Autre en plein cœur. « Day is Done * » dresse un portrait intimiste, naturaliste et sans concession de Peter Oud, un quinquagénaire malade, alcoolique et agoraphobe. Avec ce premier film réalisé après ses études à Utrecht et avant qu’il n’entame son cursus à la Nederlandse Filmacademie, Hendrikx aborde l’un des thèmes qu’il ne cessera d’approfondir et de varier dans ses autres films à savoir celui de l’inadaptation sociale que l’on retrouvera dans « Onder ons » notamment. En Peter Oud qu’il a rencontré alors qu’il travaillait comme aide à domicile, il perçoit la figure d’un Sisyphe. Prenant parti de la pensée camusienne, il imagine ce tendre bourru, abruti par la douleur et les médicaments, heureux de son sort, ce qui lui permet d’affronter chaque jour comme si c’était le premier sans se poser davantage de questions. Bien que le monde de Peter soit cloisonné, confiné à son appartement rempli d’objets aussi exotiques qu’incongrus, la caméra d’Hendrick laisse entrevoir une ouverture par le simple fait de le filmer, laissant au monde un très beau témoignage posthume d’un oublié, prisonnier de la solitude de sa vie.
Durant sa première année à la NFA en 2011, il réalise « Human », un petit film d’une toute autre facture. Plutôt esthétique, tourné en noir et blanc, mêlant gros plans et plans moyens d’un jeune homme, beau, bien sous tous rapports et s’exprimant avec son corps. Produit hybride dans la jeune carrière cinématographique de son auteur, le film traite de solitude malgré tout. Perdu dans un espace-temps, l’individu tente de combattre l’inertie par le mouvement, la danse, la boxe ou encore la prière. Quelle réponse idéale attend-on d’un homme qui pense face au vide existentiel ? Aucune, et en quelque sorte « Human » pourrait en être une.
« My Funny Valentine » est une déclaration d’amour à l’Exclusion, au Blues et à l’Art. Il s’agit en fait d’un exercice de deuxième année (il fallait réaliser un documentaire de 10 minutes sur base d’une matière de 50 minutes tournées en 16mm) où à nouveau Hendrikx choisit la voie de l’originalité et de la profondeur pour dépeindre l’univers de Stefan Aukes, un drogué qui bénéficie d’un programme gouvernemental lui permettant la consommation de drogue surveillée. Mais Stefan est surtout un artiste dont les dessins laissent transparaître une douce folie et un monde intérieur intense. Comme si cette intériorité lui échappait, Guido Hendrikx la poursuit de très près, scrutant le moindre détail du visage de Aukes, de ses dessins aussi. Aux images vidéo se mêlent des instantanés réalisés par le dessinateur lui-même représentant ce que le spectateur ne pourra voir (les prises de drogues surtout). « My Funny Valentine » se retrouve sans cesse à la lisière du rêve et de la réalité comme si la personnalité de l’artiste poussait Hendrikx à rester dans un intermédiaire complexe. Entre Miles Davis et « La Vita e Bella », s’impose le fouillis intérieur de Stefan Aukes, un lieu où, comme une chambre d’ado, traînent de vieux albums photos, des lettres lues maintes fois et des cassettes aux solos de guitares légendaires. Entre Aukes et Hendrikx, il ne semble plus y avoir de distance, il y a juste un lien et un même intérêt pour les émotions fortes.
En 2012, il y a eu 4823 refus de demandes d’asile aux Pays-Bas. Parmi eux, 1410 demandeurs furent escortés dans leur pays d’origine par la Maréchaussée royale. « Escort » est l’un des premiers films à montrer du côté des autorités les doutes et les incertitudes de ceux qui sont confrontés à la misère du monde. Durant trois semaines, Guido Hendrikx suit le programme d’entraînement des nouvelles recrues. De la salle de classe à la piste d’atterrissage, la caméra capte les émotions de deux protagonistes choisis pour la sensibilité dont ils font preuve. Opérant par opposition et contraste, le film ne juge pas directement mais pose question sur ces pratiques qui portent clairement atteinte à la dignité humaine.
Le court métrage permet également de mettre en avant les contradictions du discours politique théorique lorsqu’il est appliqué. Ce qui marque ici c’est le sentiment d’impuissance physique mais aussi psychologique face à une décision prise dans un tribunal. La démultiplication du regard par le biais de la caméra d’Hendrikx ou encore des caméras de surveillance dans l’isoloir d’un aéroport fragilise la notion de vérité et de justice. Qui a raison ? Qui a tort ? Peu importe, car pour l’heure la question est de savoir comment escorter dignement une personne menottée et immobilisée dans un manchon de corps.
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