Cette année, le jury du Prix Format Court à Brive a craqué pour une jeune adolescente dont l’enfance investit brillamment le moyen métrage, « Comme une grande », premier film d’Héloïse Pelloquet, sortie dernièrement de la Fémis, dont le dispositif renverse les codes habituellement associés aux films sur le passage à l’âge adulte. Petite tentative de décryptage après sa projection jeudi 14 mai au Studio des Ursulines (Paris, 5è) dans le cadre de son prix.
De Chaplin à Pialat en passant par Céline Sciamma, Peter Bogdanovich ou Richard Linklater, la vie à hauteur d’enfant est un thème inépuisable au cinéma. Pourquoi ? Il est difficile, voire impossible pour tout un chacun de se remémorer dans toute sa précision les premiers émois de l’enfance. Aussi, le cinéma agit comme un catalyseur de souvenirs. Au spectateur de se demander ce qui le concerne ou ce qu’il appréhende de sa propre enfance avec sa sensibilité d’adulte à travers l’identification à un personnage plus jeune que lui.
Même dans cette définition de départ d’un sous-genre que pourrait être « le film d’enfance », le moyen-métrage « Comme une grande » d’Héloïse Pelloquet détonne. Sa durée surprend déjà car il nous propose de parcourir en un peu moins de trois quarts d’heure, quatre saisons dans la vie d’une petite fille qui bascule peu à peu dans l’âge adulte.
Le tour de force de rendre crédible ce long portrait détaillé est relevé haut la main par la réalisatrice mais également par la jeune actrice, Imane Laurence, 13 ans, dont c’est le tout premier rôle de cinéma…mais pas forcement devant une caméra.
En effet, à sa manière, « Comme une grande » fabrique un dispositif original pour filmer l’enfance. Ayant remarqué que sa jeune actrice aimait se filmer elle-même devant une webcam ou avec son téléphone portable, parfois même avec ses amies, Héloïse Pelloquet a récupéré, avec son accord, certaines de ces vidéos, sans même avoir à lui confier une caméra pour le projet du film. Au-delà du dispositif classique qui consiste à montrer l’enfant dans un environnement recrée, ici, il s’agit des propres outils d’image de l’enfant en question.
À la faveur de l’éclosion des jouets numériques, il semble, pour Imane et pour nous spectateurs par la même occasion, que les distances entre l’histoire racontée et l’image saisie soient abolies. On se surprend à apprécier les imperfections de l’image, son grain, le flou, les images verticales (la marque des images tournées avec un téléphone portable), car elles nous amènent au plus près de la vie du personnage, et ce avec une grande pudeur, sans jamais tomber dans le voyeurisme morbide, mais au contraire, avec une grande vitalité, celle de la jeune actrice du film, jouant sa propre vie.
Ces petits moments purement authentiques sont enchâssés dans un récit d’une grande rigueur, enchainant les rites de passage à l’âge adulte. On trouve dans le film une scène de déjeuner de famille, un passage avec des garçons, une scène de dernier jour d’école, un séjour de la cousine montée à Paris où la jalousie d’Imane est bien palpable.
Dans cette autre série de séquences, il y a un dispositif novateur dont on ne saisit que les contours mais qui crée une distance idéale par rapport au personnage. On sent bien que ces scènes ont été tournées par la réalisatrice avec ce surplus de réalisme que seule la proximité permet. Par exemple, quoi de plus évocateur que ces enfants et pré-adolescents noirmoutrins discutant de leur avenir une fois qu’ils auront quitté leur ile ? Et que dire de la présence des parents, manifestement bien connus de la réalisatrice ?
Héloïse Pelloquet réussit donc à nous replonger en enfance grâce à ce lien ténu entre fiction et documentaire, entre authenticité brute et refabrication précise. Un beau moment de cinéma et de vie aussi.
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Article associé : l’interview de Héloïse Pelloquet et Imane Laurence