Présenté dernièrement en compétition Silvestre au festival IndieLisboa 2015, « Headlands Lookout » est un documentaire expérimental coréalisé par Jacob Cartwright et Nick Jordan. Ce court métrage, commandé par le Headlands Center of the Arts, présente, au milieu de la brume caractéristique de la région de San Francisco, les paysages désertés du comté de Marin, en Californie.
Le documentaire raconte l’histoire de ce lieu, à travers ses collines, ses ruines modernes et sa base militaire laissée à l’abandon. Les images d’étendues vierges, où les visiteurs de passage s’attardent, sont accompagnées d’enregistrements d’archives, de lectures de textes et de poèmes de Gary Snyder, d’Elsa Gildow, de Michael McClure ou encore d’Alan Watts. Les réalisateurs ne les ont pas choisi au hasard : tous vécurent dans le comté, sur le mont Tamalpaìs, où ils créèrent une communauté appelée « Druide Heights ». Ces écrivains, poètes, philosophes de la contre-culture y vivaient dans ce qu’ils appelaient « la pauvreté bohème partagée ». Adeptes de la méditation, ils tentaient de trouver une manière de vivre en adéquation avec la nature et leur environnement. Témoignage de ce mode de vie particulier, les images nous mènent à la découverte de la maison d’Alan Watts, apôtre de la culture Zen.
Outre ces enregistrements, de brefs messages provenant de la centrale d’appel du shérif du comté ponctuent tout le film. Une voix féminine énonce les plaintes, les accidents, les altercations qui se sont produits dans le comté. Les faits évoqués tour à tour illustrent ou s’opposent aux images montrées. Le jeu de va-et-vient entre image et son, passé et présent, est permanent.
Au milieu de cet univers, un homme, le seul personnage récurent du film, s’introduit dans la maison abandonnée, encore décorée de statuettes bouddhistes, d’Alan Watts. Il tente, comme le philosophe en son temps, de communier avec la nature grâce à la méditation. La récitation de textes révélant les préceptes du penseur accompagne son cheminement spirituel. L’homme porte un uniforme de l’US Army, ce qui fait écho à un autre morceau de l’histoire de Marin, sa base militaire. Ainsi apparaît le lien entre les différentes thématiques évoquées tout au long du film.
Des images d’archive montrant le lancement d’un missile américain se superposent à celles du même lieu, aujourd’hui désaffecté. Le bruit sourd des moteurs contraste avec la quiétude actuelle. Le bruit de même que le silence est l’un des fils conducteurs du film. Le clapotis des vagues, le vent qui souffle entre les arbres, le chant des grillons ou le bourdonnement des abeilles s’opposent au bruit provoqué par la présence humaine et énoncé dans les différents enregistrements. L’origine des sons, sa perception par l’oreille humaine est d’ailleurs questionnée par l’un des philosophes alors que les images dévoile l’océan.
Dans ce documentaire expérimental, les réalisateurs ne se contentent pas de nous faire découvrir un lieu, ils nous en révèlent l’âme. Présenté comme un havre de paix et de spiritualité, cet espace rendu à la nature apparaît comme une parenthèse dans le monde où l’on vient s’échapper, se ressourcer, se couper du quotidien des hommes.