Il y a quelques jours se clôturait le 37ème Festival du Film de Femmes de Créteil. Dédié aux réalisatrices, l’événement fait la part belle aux courts métrages en proposant une compétition de seize films parmi lesquels le public a élu un grand prix national « Sol Branco » (parmi quatre films cette année) et un international « The Chicken » (sur douze films). L’Université de Paris-Est Créteil a décerné également un prix au meilleur film européen « Schoolyard » et une mention à « Endemic’s greed » (parmi six films).
Une compétition éclatée
À Créteil, les programmes ne distinguent pas les films par nationalité ni même par format, les courts sont majoritairement présentés en avant-programme d’un long. De la sorte, chaque spectateur peut se laisser aller à la découverte de courts métrages même s’il n’est pas coutumier du format et voter pour le film court de son choix.
La compétition de courts métrages de Créteil est hétéroclite sans pour autant être hétérogène. On a ici une belle occasion de voir ou revoir des productions remarquables de l’année. S’il présente quelques perles peu ou pas encore projetées en France comme le déroutant « Iranian Ninja » de Marjan Riahi, le festival propose également des films ayant déjà connu un beau succès dans des festivals aussi prestigieux que Cannes, Sundance ou encore Berlin. On pense ici évidemment à deux des films les plus poignants de la compétition déjà mis en avant à Cannes en mai dernier : « The Chicken » de Una Gunjak à la Semaine de la Critique et « The Execution » de Pettra Szöcs en compétition officielle. Une séance de rattrapage en quelque sorte pour un public qui n’aura pas toujours eu l’occasion de voir ces petites perles cinématographiques.`
L’explosion des genres et l’envie de cinéma
Si les sélectionneuses du festival ont comme premier critère de sélection des films réalisés par des femmes, leurs contraintes en termes artistiques semblent assez peu formatées, chose plutôt positive.
Ici, se côtoient des films de tous genres cinématographiques. On apprend avec du documentaire de création en visionnant le très juste « La Gran aventura » de Cassandra Olivieira (Cuba) où est filmée de très près la réalisation d’un biopic radiophonique sur la vie de Camille Claudel. On est presque subjugué par l’ingéniosité et la maîtrise technique de Momoko Seto qui réalise un film d’animation catastrophe à l’esthétique léchée, « Planet Sigma » (France), primé au dernier festival de Berlin et on flirte avec l’expérimental avec « Schoolyard » de Rinio Dragasaki (Grèce).
La compétition est très ouverte en terme de genres, mais au-delà de cette diversité, le plus remarquable est sans doute la présence de nombreux films de grande qualité et de beaucoup d’envies de cinéma. C’est peut-être d’ailleurs devant « Washingtonia » de Konstantina Kotzamani que l’on a le plus affaire avec un univers cinématographique singulier. Le film mise tout sur un panaché d’émotions et de sensations. Pari risqué quand on part avec une idée scénaristique qui tient simplement sur une envie de faire ressentir le battement de cœur des girafes… Si on peut rester hermétique à l’univers proposé par la réalisatrice, ceux qui admettront son postulat de départ auront sans aucun doute fait un beau voyage sensoriel, fait de chaleur et de fragilité et mis en évidence par une photographie très soignée.
Place aux jeunes (…mais pas seulement) !
Les jeunes réalisatrices sont ici bien représentées, notamment avec la présence de Cristèle Alves Meira qui signe avec « Sol Branco » son premier court métrage de fiction, après un passage par le documentaire, le théâtre et les arts graphiques. On retrouve d’ailleurs un peu de tout cela dans cette réalisation, primée par le public de Créteil. C’est la touche particulière qu’insuffle la réalisatrice à son film, une recette à base de paysages estivaux graphiques, une direction d’acteur réussie (avec deux adolescentes), le tout inscrit dans un voyage initiatique bien ficelé même si quelque peu incroyable.
Du côté des auteurs plus aguerris, le film « Prends-moi » (Canada), co-réalisé par André Turpin et Anaïs Barbeau-Lavalette – connue pour avoir réalisé le long métrage «Le Ring » en 2007 – surprend par son sujet. Il s’agit du malaise ressenti par un aide soignant lorsqu’on lui demande d’aider mécaniquement un jeune couple handicapé à faire l’amour. Pas de jugement dans le regard des réalisateurs, juste la mise à jour d’une réalité peu connue. La mise en scène est classique mais le traitement laisse une grande place à la réflexion autour d’un sujet encore tabou.
Par les femmes mais pas pour les femmes
Loin de se contenter d’aborder des sujets dits « de femmes » ou « féministes », les réalisatrices en compétition semblent avoir des préoccupations tout à fait universelles. On aborde le thème de la guerre, avec un regard détourné, sans jamais voir les armes en direct (on les entend dans « The Chicken », on les joue dans « The Execution »). On parle de violence physique mais surtout morale, avec des personnages complexes comme celui d’une mère névrosée et obnubilée par son physique vieillissant qui oublie jusqu’à la date d’anniversaire de son fils pourtant en demande d’amour dans « Washingtonia », ou encore dans « Schoolyard » où l’ambiance studieuse d’une école se transforme en champ de bataille. On traverse les étapes du désir, de la séduction timide de « Oh Lucy ! » (Japon, de Atsuko Hirayanagi) à la drague animale dans l’animation « Endemic’s Greed » (Pologne, de Natalia Dziedzic).
Mais le sujet le plus présent, presque en fil rouge de tous les films, reste celui des relations humaines. Les réalisatrices mettent en scène des situations où la femme est au centre de préoccupations qui souvent la dépassent. Dans « Capture » (Israël, de Tamar Rudoy)une jeune femme se fait rattraper par son image devenue publique à son insu par le biais des réseaux sociaux et d’un photographe qui l’expose en grand format. Dans « L’hiver et la violence » (Canada, de Sophie Dupuis)le personnage féminin principal fait face à la trahison pour la première fois. Dans « Lavashak » (Allemagne, de Narges Kalhor) l’héroïne est confrontée au deuil. Et les exemples pourraient se suivre pour chaque film de la sélection. Les femmes s’intéressent aux grands questionnements de la condition humaine et font le choix de les incarner autour de personnages féminins forts.
La compétition de courts métrages du Festival de Films de Femmes est bien riche et soulève sans aucun doute de nombreux débats. Si la maîtrise technique et la narration peuvent parfois paraître un peu classiques, certains films sortent largement du lot et révèlent le talent de femmes cinéastes. On regrettera par contre l’absence de comédies. Pour autant, les quelques films qui sortent des sentiers battus « Planet sigma », « Oh Lucy! », « Sol Branco » ou encore « Washingtonia » font oublier qu’on n’aura pas beaucoup ri en regardant cette compétition.