Présenté dans la compétition internationale des courts-métrages du festival Cinéma du Réel, « San Siro », de Yuri Ancarani, nous propose une immersion au cœur du célèbre stade milanais. Néanmoins, le sujet de ce court métrage n’est pas l’action sportive que les footballeurs offriront à leurs spectateurs. Ce qui intéresse le cinéaste italien, ce sont les étapes qui précèdent l’événement, les différentes tâches à accomplir au sein de l’édifice avant que la représentation ne soit possible. Le stade est filmé tel un organisme au sein duquel chaque travailleur a sa fonction. Les différents corps de métier, que l’on découvre au fil des images, œuvrent en amont, afin d’assurer le bon déroulement de la rencontre. Après une trilogie sur la notion de travail (« Da Vinci » (2012), « Il Capo » (2010) et « Piattaforma Luna » (2011)), Yuri Ancarani continue de sublimer le quotidien des hommes à l’ouvrage.
Les premières scènes nous dévoilent un univers de béton, baigné de pluie. Un univers gris où contrastent, par touches de couleurs vives, le manche d’un marteau, les lacets d’une chaussure ou les imperméables jaunes des travailleurs. Ce savant jeu d’opposition révèle l’un des enjeux du documentaire : rendre visibles, grâce à l’objectif de la caméra, les travailleurs de l’ombre. Par une succession de plans fixes, le cinéaste porte notre attention sur leurs gestes, leurs actions. Les plans se resserrent sur leurs mains, leurs pieds, les objets qu’ils manipulent. Un homme tire un long câble d’une trappe aux battants métalliques, un second l’assiste et, dans un geste précis, lent et esthétique enroule ce même câble sur lui-même. Le plan, très serré autour de l’objet, permet de ressentir toute l’harmonie de cet enchainement circulaire. La caméra, là encore en plan fixe, nous montre ensuite la valse de barrières métalliques, déplacées par des hommes en imperméables jaunes. L’enchainement des barreaux verticaux qui se croisent et s’entremêlent, produit l’effet d’une chorégraphie urbaine. Les images sont épurées, les plans longs et fixes, ce qui permet de mettre en exergue l’esthétisme que peuvent recouvrir les actions des personnages.
Ces scènes, de même que toutes celles qui suivront, sont dépourvues de dialogues. Ce sont les bruits ambiants, ceux des gouttes de pluie percutant le sol, des câblages remontés à la surface, des barrières métalliques crissant sur le béton, qui constituent les seuls éléments sonores du film. Ils sont intensifiés, bruts et sourd, ils viennent perturber la calme de l’ouvrage méticuleux des travailleurs. Mais bientôt, nous quittons la grisaille mélancolique, pour, au plan suivant, observer l’étendue verte de la pelouse et un homme dont le rôle est d’allumer des pétards afin de faire battre en retrait une horde de pigeons.
Après cet intermède assez humoristique, le film ne sera plus qu’alternance. Une alternance de plans longs et courts, larges ou rapprochés, normaux ou en plongée. Mais également de calme et d’effervescence, de foule et de silence. C’est là que se situe toute la réussite du film de Yuri Ancarani. Le balancement d’un plan à l’autre, d’un sujet à l’autre, l’oscillement du calme à l’agitation, à mesure que l’heure de la rencontre sportive approche, crée, chez le spectateur un état d’attente. L’étude minutieuse de tous les petits évènements qui préparent celui tant attendu accentue l’anticipation à mesure qu’approche l’instant T, celui de la rencontre entre les joueurs.
Paola Casamarta