Après la Quinzaine des Réalisateurs en mai dernier et avant le Festival de Clermont-Ferrand début 2015, « 8 balles », était ces jours-ci en compétition officielle au Festival du Film de Vendôme. Il s’agit du dernier court-métrage d’animation de Frank Ternier.
Gabriel a 36 ans, exilé pour affaires il vit à Taïwan, dans la petite ville de Taipei. Depuis six mois exactement, il est obnubilé par une odeur de poisson frit qu’il traque sans répit. Cette odeur appartient a un homme que le protagoniste connait bien, puisque celui-ci l’a agressé, le laissant pourvu d’un trou de 45 millimètres dans le crâne, et a tué des membres de sa famille. Nous suivons notre héros dans une chasse à l’odeur, chasse à l’homme surtout, bien décidé à cicatriser une douleur psychique et organique qui le ronge.
L’espace narratif se pose sous la forme d’un récit radiophonique. L’homme se raconte au présent, tandis qu’un duo de voix-off (une femme et un homme) narre l’action et cristallise l’état interne obsessif du personnage, sous forme d’auto-interrogations, de doutes sans fin et de répétition de mots.
À cette pluralité narrative, s’ajoute la petite fille de Gabriel. Âgée de 8 ans, elle est le troisième personnage du film, ou second selon les interprétations, et est un témoin rapporteur de la déresponsabilisation progressive du père. Ayant perdu tout forme de raison, celui-ci atteint un point de non retour qui n’est pas sans concessions sur sa vie réelle : au contact de l’effluve, il finit par laisser sa fille seule faire le chemin de l’école, négligeant même, et ce non sans une grande culpabilité, d’aller la chercher.
Le processus de quête prend forme mais les réponses post-traumatiques submergent Gabriel de flash-back intrusifs desquelles émanent une intense sauvagerie. Arrivera t-il une fois pour toute à mettre un terme à tout ce fiasco ? Rien n’est moins sûr…
À l’initiative du collectif « Idéal Crash » avec qui il a réalisé ce film, Frank Ternier développe un huis-clos atemporel dans un univers graphique où se confondent les techniques d’animation et d’arts plastiques telles que le dessin, la peinture, l’encre de chine, la vidéo, la 3D ou encore le collage. La bande originale, composée par Fréderic Duzan, aussi connu sous le nom de Zed, progresse entre musique ambient et électro-acoustique, développant avec éloquence une atmosphère subversive et oppressante.
Si pour certains, le scénario pourra avoir des airs de déjà-vu et un côté trop simpliste, d’autres trouveront qu’avec ce court-métrage, Frank Ternier développe un drame sans traitement homérique, davantage porté sur les aspects réalistes d’une expérience de traumatisme, en y subordonnant les thèmes du deuil et de la vengeance. Aussi photographe, motion designer et graphiste, il met à l’honneur les pratiques « cross-over », l’occasion d’innover, sans cesse, la notion même de créativité. Résolument contemporain et esthétique, sans jamais être trop lisse, l’univers du vidéaste, a ce petit quelque chose d’aventureux et d’émancipé qui valorise les ambitions libertaires du cinéma d’animation.
Article associé : l’interview de Frank Ternier