Scénariste à l’origine, Martin Razy s’est lancé à 30 ans dans sa première réalisation professionnelle avec « Sans les gants », présenté au dernier Festival Européen du Film Court en compétition française. Vainqueur du prix Beaumarchais qui récompense un film francophone, il est revenu en compagnie du producteur du film, Benoit Danou (Pharos Productions) sur son rapport au public, à l’écriture et à la réalisation.
Peux-tu me parler de votre parcours et de ce qui t’a emmené jusqu’à « Sans les gants » ?
Martin Razy : J’ai fait un bac audiovisuel à Annecy en Haute-Savoie et suis monté à Paris directement après pour mes études où j’ai fait un master de cinéma. En 2008, j’ai écrit mon premier long métrage qui a été sélectionné en finale du prix junior du meilleur scénario du concours Sopadin. Ca a été un formidable tremplin qui m’a donné une belle visibilité et qui m’a permis de rencontrer mes premiers producteurs et mon agent. Je recommande ce concours à tout le monde !
Le film a été produit mais on n’a pas réussi à le monter financièrement ; il est mis de côté pour l’instant. J’ai retenté le concours Sopadin en 2011 avec un autre scénario qui est aussi allé en finale mais qui n’a malheureusement pas été produit car c’est un film plus compliqué et plus cher. Ce projet est aussi de côté pour l’instant. J’ai une envie de réécriture sur les deux scénarii mais j’attends un peu.
Depuis ma prime jeunesse, en tant qu’amateur, j’ai écrit et réalisé des courts-métrages. Il y a deux ans et demi, un ami, Mathias Pardo, m’a demandé d’écrire le scénario de son court-métrage, « Les grandes marées », produit par Benoit Danou. Le film était à Brest dans la section « Made in Breizh » l’année dernière.
Après cela, Benoit et moi avons voulu monter un projet ensemble. J’avais envie de réaliser et n’y étais pas revenu depuis longtemps parce que je m’étais ancré dans l’écriture. Ca a donc été le premier tour de manivelle pour « Sans les gants » dont l’idée a plu à Benoit. J’ai ensuite développé un scenario, dont Benoit a suivi l’avancée, pendant un an.
Ces jours-ci, « Sans les gants » a été présenté à Brest en compétition française. La projection s’est très bien passée : la salle était gigantesque, il y avait beaucoup de monde et le public était très réactif. C’est très appréciable pour un réalisateur quand un public rit au moment où il est censé le faire ou quand on ressent la tension sur la fin du film. Ce qui me plaît, c’est l’interaction entre ce travail de deux ans et demi et les spectateurs assis dans leurs fauteuil et qui regardent ton film.
Quand ton film est projeté, tu restes donc dans la salle ?
Martin Razy : Oui, toujours. Il y a une petite pointe de stress juste avant que le film commence, même sur la première image, puis, le stress se transforme très vite en excitation. Je suis très fier du résultat, je n’ai pas de honte à montrer mon film, au contraire, je veux qu’il soit vu. C’est le but d’un film, que les gens le voient, qu’ils viennent te parler, te dire ce qu’ils ont aimé et moins aimé. C’est agréable d’avoir ces retours de spectateurs.
Benoit Danou : Depuis le début de la carrière de ce film, on a eu des retours positifs, il a déjà été montré dans d’autres festivals et on espère que ça va continuer. Le retour négatif, ce serait l’absence de retour.
Martin Razy : Certaines personnes m’ont dit qu’elles avaient moins aimé telle ou telle chose. C’est très bien parce que c’est comme ça qu’on apprend et j’ai encore tout à apprendre dans ce métier. Quand la critique négative est constructive, c’est parfait, je l’accepte. Elle me fait avancer et me booste pour les prochains sujets, me permet d’avoir une meilleure compréhension du public et de ce que j’ai envie de dire.
Le film s’intéresse au parcours d’un jeune boxeur confronté à des choix. Qu’est-ce qui t’a donné envie de parler de ce passage de l’enfance à l’adolescence ?
Martin Razy : C’est même un passage de l’enfance à l’âge adulte ou en tout cas à une forme de maturité. Je n’ai pas la source. J’ai réfléchi à cette question très longtemps. Ca me taraude depuis pas mal de films parce que les courts-métrages que j’ai écrits et mes deux longs-métrages traitent en filigrane de cette façon de vieillir d’un coup. C’est un sujet qui me touche beaucoup, la façon dont on devient un homme au sens large du terme, dont on grandit, dont on passe de l’enfance à certaines responsabilités.
Comment as-tu écrit tes personnages ?
Martin Razy : J’avais envie de créer une forme de dualité dans tous les personnages, les principaux comme les secondaires. Dans le personnage de Dylan, je voulais qu’il y ait à la fois son regard enfantin et à la fois, de par sa position au sein de cette famille monoparentale et du cadre dans lequel il évolue, son attitude d’adulte. Il a besoin d’être aussi un mari absent et un confident pour sa mère. On retrouve aussi cette dualité chez la mère, puisque elle est la meilleure copine mais aussi évidemment la mère, et chez l’entraineur, qui joue en même temps le rôle de père de substitution et peut-être celui de meilleur ami, plus âgé.
Est-ce que tu peux nous parler de tes influences ?
Martin Razy : Pour l’image, on est partis d’influences picturales avec mon chef opérateur, Thomas Walser. On se connaît depuis quinze ans, il a participé à tous mes courts-métrages amateurs. En poursuivant cette belle collaboration, on se connaît tellement bien qu’on a plus tellement besoin de parler : il sait ce que je veux et ce que j’aime. Même si j’essaie de me renouveler à chaque fois, des points de références culturelles et picturales reviennent quand même à chaque fois.
Etant donné que j’ai peu de références, je pourrais plutôt dire ce que je n’avais pas envie de faire. Le film se déroule dans une cité ; je n’avais pas du tout envie de reprendre les codes de ce cinéma, c’est-à-dire une caméra épaule et une lumière très crue, avec un côté naturaliste. Ma caméra est sur pied, elle est en mouvement régulièrement, il y a des grands mouvements, en plans-séquences très souples, très longs. Je voulais aussi une lumière très travaillée, quelque chose de chaud dans deux lieux : le cocon familial de l’appartement et les scènes de parc qui sont une forme de respiration quand Dylan sort de sa cité. On ne cherche pas forcément à la montrer à l’image puisqu’on se situe sur une seule barre d’immeubles mais en fait mon personnage y est enfermé entre cette barre et le positionnement de la caméra. Son seul secteur d’avenir est la salle de boxe. Picturalement, j’avais besoin que la cité soit très travaillée, pas crue, pas naturelle. Même en extérieur, mon chef opérateur met de la lumière.
En fait, je n’aime pas vraiment donner de références cinématographiques précises, ça ne me parle pas. Je vais chercher à faire la lumière que j’ai en tête en dialoguant en continu avec le chef opérateur.
Pouvez-vous me parler de votre collaboration ?
Benoit Danou : La collaboration s’est toujours très bien passée, on a dès le départ réussi à instaurer une belle confiance et un respect mutuel. On a commencé à travailler ensemble très en amont sur le projet.
Martin Razy : Et c’est très agréable ! Ce que j’aime dans le travail avec Benoit, c’est qu’il a vraiment suivi le développement depuis l’écriture. Il a été présent, il a toujours lu très rapidement, il m’a fait des retours précis. C’est quelqu’un qui s’y connaît dans la dramaturgie. Le duo réalisateur/producteur est le cœur du film. Je n’aurais jamais pu faire ce film tout seul, la présence de Benoit a été cruciale dans le développement. Seul, pendant l’écriture ou même au montage, on perd de l’objectivité car on n’a plus assez de recul. Le regard du producteur est donc important. Quand en plus, il y a une vraie discussion et que chacun se bat pour le projet c’est agréable, vraiment !
Vous avez encore des projets ensemble ?
Martin Razy : Notre collaboration s’est tellement bien passée qu’on fait un deuxième court-métrage ensemble qui est en cours d’écriture et de financement. J’ai encore envie de traiter du passage à l’âge adulte mais dans un univers complètement différent. Ça n’aura rien à voir avec « Sans les gants » mais je filmerai toujours des adolescents. J’ai envie de sortir du cadre, de sortir du genre aussi.
Propos recueillis par Zoé Libault
Article associé : la critique du film