« To Taste the Ground », retenu en compétition Focus au Festival du nouveau cinéma de Montréal, est un documentaire qui déploie sous nos yeux un paysage naturel exalté et une terre généreuse travaillée par des hommes et des femmes qui vivent au rythme de la nature. Sa réalisatrice, Shannon Harris, filme le quotidien et le travail de la terre dans une ferme biologique de la Colombie Britannique, à l’Ouest du Canada.
Le film se déroule lentement sous nos yeux, au rythme des saisons, et fascine. « To Taste the Ground » est une oeuvre pleine de noblesse et d’un respect admiratif pour cette vie au plus proche de la terre, et pour ce que cette dernière procure. Le film est muet, à l’exception des bruits environnants, ceux de la nature et du travail de l’homme qui sème, arrose, taille et cueille. Il se passe très bien de discours, se contente de quelques recommandations préliminaires telles que « To begin I must take off my shoes, free the soles of my feet to taste the ground, open the body, because this is what happens here, it opens » (Pour commencer, je dois ôter mes chaussures, libérer la plante de mes pieds afin de goûter le sol, ouvrir mon corps, parce que c’est ce qui se passe ici, il s’ouvre).
En tant que spectateurs, nos sens sont en éveil, et notre corps également doit s’ouvrir pour apprécier chaque parcelle de terre, chaque branche d’arbre et chaque fruit qui nous sont généreusement donner à voir, mais pas seulement. Le choix d’une caméra super 8 favorise cette sensation de proximité et de toucher, parce qu’elle rejette d’emblée l’image numérique trop lisse et trop nette pour nous permettre de mieux sentir la matière, celle de la peau velue d’une pêche en écho au grain de l’image ou celle de la terre sous les pieds qui se faufile jusque sous les ongles.
L’arrivée soudaine de l’homme à l’écran apparaîtrait presque comme une menace, au risque que les mots et les témoignages qui sont bien souvent de mise dans le documentaire viennent gâcher la tranquillité des images et l’apaisement provoqué par les sons, et que l’œuvre prenne une tournure un peu trop revendicatrice, prenant la forme d’une leçon de vie. Mais le film se passe de mots. La couleur et la texture des fruits récoltés, le bruit du vent dans les arbres, l’absence de toute nuisance sonore, suffisent à apaiser le spectateur et à le convaincre que bonheur et sérénité peuvent se retrouver ici. La durée de chaque plan est étudiée et les hommes s’y inscrivent avec distance car ce ne sont pas eux les sujets du film de Shannon Harris. Le personnage central, c’est bel et bien la terre avec comme principal interlocuteur, les saisons.
« To taste the Ground » exerce une forme de fascination sur le spectateur et nous met face à nos propres rêves et à d’autres possibles, résumés dans cette citation finale d’une des habitantes de la ferme. La proximité des images et l’implication émotionnelle de leur auteur permettent de sentir la chaleur du feu de bois qui crépite ou encore le goût sucré du miel. Autant de sensations qui font qu’après avoir vu « To Taste the Ground », on a le sentiment d’avoir pu aussi profiter de ce petit paradis terrestre et d’avoir nous aussi goûté à la terre.