Créé en 1993, L’Etrange Festival a célébré sa 20ème édition en septembre dernier. Cette manifestation unique dans le paysage cinématographique hexagonal continue de nous prodiguer, d’année en année, son lot de films rares, oubliés et transgressifs, en marge d’une cinématographie plus classique. À l’occasion de cette dernière édition, nous avons rencontré son président, délégué général mais aussi fondateur, Frédéric Temps, et l’avons interrogé sur la place occupée par le court métrage dans ce festival hors-norme.
De quand date la création du programme de courts métrages à l’Etrange Festival ? Comment vous-est venue cette idée ou envie ?
Cette sélection date de la première année du festival (1993). Je considère le court métrage comme une œuvre à part entière, et pas du tout comme un format parallèle ou comme la nouvelle par rapport au roman, ce dernier désignant ici le long-métrage. Comme des centaines de cinéastes ont pu le démontrer tout au long de l’histoire du cinéma, à commencer par les films primitifs et expérimentaux, il y a de nombreux courts métrages qui peuvent acquérir un statut tout aussi important qu’un long-métrage. Je pense notamment à la série de films « Les Documents Interdits » de Jean-Teddy Filippe qui a inspiré de nombreux films depuis, tous formats confondus.
Il est important pour nous d’avoir une sélection de courts métrages parce que cela nous permet de découvrir de nouveaux talents et, bien souvent, les cinéastes programmés dans la compétition de longs métrages ont vu leurs courts métrages diffusés dans une précédente édition.
Dès la deuxième édition du festival, nous avons voulu impliquer la direction des Programmes Courts de Canal + comme partenaire. Nous avons donc créé avec Alain Burosse (dirigeant à l’époque les Programmes Courts et devenu depuis le vice-président de l’Etrange Festival) une compétition dotée d’un Grand Prix Canal +, dont le but était l’achat direct d’un film pour un passage à l’antenne. Il y a bien entendu ce vainqueur attitré mais il y a également la possibilité pour d’autres films d’être repérés par la chaîne et de se faire acheter par la suite.
Quelle forme prend cette sélection de courts métrages ?
Nous avons tenté plusieurs formats différents. Au moment de la création, quand nous étions encore au Passage du Nord-Ouest (ancien cabaret de la Rive Droite), nous avions par exemple opté pour un marathon du court (5 à 6 heures), retenté depuis au Forum des Images, en 2003 ou 2004. Cette année, pour les 20 ans, j’avais envisagé de faire une projection de 24h non stop de courts métrages, qui aurait pu comprendre la compétition, des films hors compétition, mais aussi un best-of sur le modèle des « 20 ans/20 films ».
La forme classique que prend cette sélection se compose de plusieurs programmes d’une durée d’1h à 1h45, qui contiennent plus ou moins de films, en fonction de leur durée respective. Il y a environ 45 à 50 films courts diffusés par édition. Pour gagner en cohérence et nous permettre de projeter toujours plus de films, nous sommes passés de 4 à 5 programmes. Nous avons cependant remarqué une légère baisse de fréquentation cette année, due notamment à la compétition long-métrage qui a tendance à prendre le pas dessus. C’est pourquoi nous allons réfléchir à de nouvelles formules pour permettre à tous ces films de très bonne facture d’avoir la salle comble qu’ils méritent.
Pouvez-vous nous parler du fonctionnement de la programmation ?
Nous fonctionnons en petit comité, de manière simple. Nous regardons des films venus des quatre coins du monde sur lesquels nous pratiquons un premier écrémage. Chacun ramène les courts qu’il a aimés et repérés. De mon côté, j’essaye de voir environ 1500 films, essentiellement sur les marchés du film, puis je soumets entre 100 et 150 choix au comité de sélection, pour au final en sélectionner une cinquantaine environ. D’autres films nous sont envoyés directement et alimentent notre propre prospection. Nous choisissons également de saupoudrer certaines projections de longs et soirées spéciales avec des courts métrages surprises, non sélectionnés en compétition, car déjà beaucoup diffusés ou produits et achetés par Canal +.
De surcroît, nous demandons de plus en plus, à nos invités qui ont une carte blanche de programmer autant des longs que des courts. Cela a été bien compris par Godfrey Reggio qui a choisi, cette année, dans sa carte blanche, plusieurs courts comme « Tango » de Zbigniew Rybczynski ou un classique du slapstick avec « Cops » de Buster Keaton & Edward F. Cline. L’année dernière, nous avions pu avoir tout un programme de courts choisis spécialement par Albert Dupontel.
Pouvez-vous nous dire un mot sur votre ligne éditoriale ?
Concernant les courts diffusés à l’Etrange Festival, nous ne nous arrêtons pas simplement au film de genre fantastique ou horrifique, au film de SF, policier ou bien à des choses ultra-violentes. Nous sommes ouverts à toute autre forme comme la comédie, le documentaire, le film scientifique ou expérimental. Nous cherchons dans tous les genres possibles, sachant que ce qui nous intéresse, c’est la singularité du film, soit dans son filmage, soit dans son propos. Nous essayons de montrer des films que l’on ne voit pas forcément ailleurs. Tous les ans, au moins 60% de la sélection est inédite en France.
Je regrette de voir trop souvent les mêmes choses, des films totalement formatés qui cherchent à se fondre dans une espèce de moule pour s’ouvrir plus facilement les portes vers le long-métrage. Tout cela est directement éliminatoire pour nous, l’idée étant plutôt de trouver des films qui vont sortir des sentiers battus. Dans le long-métrage, c’est compréhensible que les réalisateurs fassent attention, compte tenu du cadre industriel plus lourd en termes de production. À l’opposé, le court métrage devrait rester un lieu libre, de recherches et d’expérimentations, sans aucune contrainte.
Nous essayons de programmer des films d’horizons différents, singuliers et décalés, que l’on mélange de façon éparse dans chaque séance, tout en préservant une cohérence de programmation. C’est pour cela que les séances sont interdites systématiquement aux moins de 16 ans, parce que l’on ne s’interdit pas de mélanger un film d’animation typique Disney et un film utlra-violent, limite gore. Notre credo est de proposer tous les mélanges possibles des genres.
Vous travaillez étroitement avec Serge Bromberg et Retour de Flamme, pouvez-vous nous parler des séances organisées ensemble ?
En 2012, Retour de Flamme a également fêté ses vingt années d’existence. Nous sommes plutôt synchrones puisqu’ils se sont créés pratiquement en même temps que l’Etrange Festival, dans le même endroit, au Passage du Nord-Ouest. C’est comme cela que j’ai rencontré Serge Bromberg dont j’admire la passion et l’intensité qu’il met en œuvre dans un domaine (la restauration de films) qui pourrait sembler obsolète à première vue. Eric Lange et lui font un travail exemplaire et sont sans arrêt sur la brèche pour redécouvrir d’énièmes pépites à restaurer.
Tout de suite, nous nous sommes dits que nous organiserions bien un Retour de Flamme spécial Etrange Festival. C’est pourquoi, dès la deuxième année (1994), nous avons travaillé ensemble sur une séance Retour de Flamme, essentiellement portée sur le court. Pour la séance des vingt ans, nous avons réfléchi à une programmation rarissime. Par exemple, Serge a montré le film « The Life and Death of 9413 : a Hollywood Extra » de Slavko Vorkapich et Robert Florey, un court métrage du début du siècle dernier (1928), qui a la particularité d’avoir inspiré George Lucas pour son film « THX 1138 ». Il avait d’ailleurs réalisé un court métrage lui-même en hommage à ce film, « Electronic Labyrinth THX 1138 4EB ».
L’Etrange Festival affiche cette volonté de découvrir des cinéastes à leurs débuts avec leurs courts métrages, puis de les suivre ensuite dans leur carrière de réalisateurs de long métrage. Quels cinéastes que vous avez suivi sont maintenant reconnus auprès du grand public ?
Un très bon exemple est Jaume Balagueró (réalisateur de « Rec » et de « La Secte sans Nom »), qui a eu le Grand Prix en 1995, dès la deuxième année, avec son court métrage « Alicia ». lI y a aussi Guillermo Del Toro, les Frères Quay, Jan Kounen, Gaspar Noé, Harmony Korine, Chan-wook Park, Douglas Buck, Julio Medem ou encore Alex de la Iglesia. « Victor », le premier court métrage de François Ozon, était en compétition en 1994. Personne ne s’attendait à l’époque à ce qu’il devienne le réalisateur populaire qu’il est devenu depuis.
Quel est votre sentiment sur la production française de court métrage ?
La production française de court métrage est en plein essor grâce notamment à la facilité de coût et d’accès à la technologie actuelle. Il y a tout un champ de possibles pour faire un film maintenant. L’arrivée d’Internet a changé la donne, certains auteurs ne cherchent plus à travailler avec l’aval des diffuseurs de télévision, ils mettent leurs films directement sur le web et peuvent parfois dégager beaucoup plus de visibilité qu’en choisissant le parcours classique.
Il y a de nombreux films, parmi ceux que l’on reçoit, qui ont du mal à être diffusés ailleurs parce que nous nous trouvons encore dans une position très arc-boutée qui consiste à favoriser un vieux cinéma à la papa. Malgré ces difficultés, le cinéma français de court métrage de genre ne se porte pas mal, la situation n’a jamais été aussi productive. Il y a de nombreuses manifestations qui se créent autour de cela, je pense notamment aux Utopiales de Nantes, dont je m’occupe aussi, qui comporte une compétition de films de SF. De nombreux projets de films se font dans tous les sens, il faut juste ne pas oublier d’amener quelque chose en plus, un style personnel, une approche originale. En tout cas, je ne suis pas inquiet sur la qualité de la production française. Les auteurs sont bel et bien là et beaucoup d’autres arrivent derrière.
Propos recueillis par Julien Beaunay et Julien Savès