Pudique cinéma politique
Sélectionné dans de nombreux festivals internationaux dont celui de Sundance et plus récemment celui de Grenoble, « Où je mets ma pudeur » (2014) est le quatrième court-métrage de Sébastien Bailly. Le réalisateur poursuit, après « Douce » (2011) une analyse de l’intimité féminine en contexte normatif : une aide-soignante au sein d’un service hospitalier dans le précédent, une jeune femme voilée dans le monde universitaire parisien dans le dernier. Dans ce nouvel opus, à la mise en scène posée très assumée, nous suivons un épisode sensible d’une vie d’étudiante : la préparation et le passage des examens oraux. La jeune fille, constamment voilée en public, fait des études d’histoire de l’art et doit commenter « La Grande Odalisque » d’Ingres. Le problème : elle doit retirer le hijab pendant l’examen. Entre voilement désirée et dévoilement obligatoire, position intime et code culturel, entre tradition romantique et cinéma politique, le court-métrage dessine une ligne intermédiaire avec l’objectif heureux d’énoncer la difficile inscription de l’intime dans l’espace public.
Plus qu’une chronique sur une situation estudiantine, le cinéaste semble lorgner du côté de l’allégorie : il s’empare en douceur d’un conflit entre un individu et les codes culturels pour mieux re-lever des questionnements plus larges autour de la position d’une femme prise entre deux mondes — sa religion et sa vie étudiante. L’art, les tableaux, semblent une passerelle entre deux différentes sphères, et également une manière de déplacer l’enjeu politique vers l’enjeu existentiel. Le montage ne fait pas correspondre les plans en assumant la rupture; au contraire, il crée une communication entre intimité et publicité, entre fixité de la toile d’Ingres et la perception vécue. Le film enveloppe sa protagoniste de manière à l’envoûter d’une objectivité distraite, remuée par l’être mais maintenue dans une forme de rationalité. Il devient vite évident que la question est moins de savoir pourquoi la protagoniste retire à un moment son voile que de comprendre pourquoi elle tient à le revêtir.
Du même coup, le film ne peut pas être le bon prétexte à un débat sur la laïcité; il s’agit principalement de désir et d’affirmation. Comme Luis Buñuel et Maurice Pialat, cinéastes qui s’attachent à révéler la non-normativité du désir, on en vient à scruter les mouvements du corps. Le court-métrage de Sébastien Bailly donne de l’exploration de la sensualité son propre programme : sueur, pudeur et candeur. Refusant de trouver refuge dans une forme directement polémique, il semble partir d’un choix radical : lire la réalité uniquement depuis la jeune femme, pour ne jamais perdre de vue la sensibilité de son héroïne. Les affects sont déclinés selon la trajectoire d’un récit initiatique : du corps anonyme et dissimulé qui court aux Buttes-Chaumont au corps exhibé et scruté à la Sorbonne, du contexte familial au contexte académique, en passant par l’acte de rapprochement amoureux dans l’intimité d’une chambre avec l’homme désiré. L’interprétation sur le fil des comédiens — Hafsia Herzi, Bastien Bouillon et Marie Rivière — rend compte de ce cheminement délicat qui mène à l’affirmation d’une pudeur intériorisée autant qu’à une fascination pour l’art du nu. « Où je mets ma pudeur » permet de soulever en beauté un débat qui traverse l’histoire de l’art : montrer signifie-t-il découvrir ?
La mise en scène feutrée de « Où je mets ma pudeur » ne s’affiche pas directement; elle se dissimule derrière, face, à côté de son héroïne comme pour mieux laisser advenir des attentes — possibilité de mettre en rapport les signes de vie et les symboles religieux, possibilité pour la protagoniste d’accepter ou non les codes sociaux, possibilité pour le spectateur de voir s’annuler la conformité entre un sujet et le comportement qui correspondrait à son identité préjugée. Au fond, le film n’oublie jamais la contradiction de toute vision du corps; au moment où on croit le capter, l’attraper dans l’image, il n’est déjà plus ce qu’il était, ou bien il n’est plus qu’une image. Étrangement, le corps, habité par l’être et mis à disposition des autres, est peut-être ce qui nous appartient le moins et qui, dans le fait même qu’il nous échappe, est le plus précieux signe de notre présence. Que le cinéma montre cela, c’est sa plus belle mission, au risque de s’y casser les jambes, les bras et les dents.
Dans son court-métrage , Sébastien BAILLY aborde le thème du voile, un sujet sensible en France.
Hafsia, jeune étudiante en histoire de l’art a l’obligation d’enlever son hijab afin de passer son examen. Elle va choisir de commenter La Grande Odalisque d’Ingres, exposée au Louvre .
Dès les premières images le réalisateur nous prend à partie grâce au jeu de caméra nous donnant l’impression de la reluquer quand elle fait son jogging. Puis elle s’arrête, la camera se fixe sur son visage et nous laisse découvrir son hijab sous sa capuche. C’est à ce moment-là du film que l’on comprend la portée de celui-ci … .
Lorsque Hafsia va décrire la peinture; la caméra sera sans cesse orientée vers l’oeuvre puis vers l’étudiante, ce qui crée un rapprochement entre la femme nue du tableau et Hafsia.
Malgré les polémiques qui pourraient tourner autour de ce thème, le réalisateur réussit, avec beaucoup de sensibilité, de pudeur et d’agilité à nous faire prendre conscience de cet amalgame entre culture et religion.