Invitation au voyage, exploration des émotions, travail sur la perception, « Beauty » est un film de ressenti, un court animé extrêmement original et troublant sur l’art et la vie.
Découvert à Annecy, sélectionné dans bon nombre de festivals, projeté à notre séance Format Court au mois de septembre, ce film époustouflant de beauté et de grâce est le fruit de cinq mois de travail solitaire de l’artiste italien Rino Stefano Tagliafierro.
Pour rendre compte des émotions humaines, le réalisateur a identifié et classé un certain nombre de peintures baroques vues et aimées dans les musées et les livres, tombées dans le domaine public. Parmi celles-ci, des toiles de Caravage, Rembrandt, Rubens, David, Doré ou Vermeer, mais aussi un bon nombre d’œuvres du peintre William Adolphe Bouguereau dont la représentation de la douceur, l’enfance et la pureté apportent énormément au film.
Près de 120 tableaux de maîtres tour à tour magnifiques et effrayants se succèdent dans ce film de 10 minutes, rythmé par la musique envoûtante de Enrico Ascoli. Ces peintures ont deux particularités. Par leur nombre et leur qualité, elles offrent au spectateur la possibilité de (re)découvrir une série d’œuvres romantiques et classiques de l’histoire de l’art. Le film ne se voit pas pour autant comme un livre d’art puisque le réalisateur offre un éclairage différent, inédit et surtout animé aux œuvres proposées.
Par un jeu subtil de calques, Rino Stefano Tagliafierro crée de légers mouvements à l’intérieur de ces peintures. À la manière d’un souffle, chaque tableau s’anime doucement, discrètement : comme par magie, l’eau se met à couler, le vent fait bouger les feuilles, une larme coule, un oeil cligne, un oiseau bat des ailes, une porte s’ouvre, un baiser se donne, une mère se rapproche instinctivement de son enfant, …
La perspective change, les peintures s’animent, quittent leur immobilisme, les êtres peints se mettent à prendre vie, à nous regarder ou à entrer en interaction avec leurs pairs de toile. Des images de paysages se succèdent à des tableaux de pureté virginale, de douceur, de félicité, puis à des représentations de l’amour et de la sexualité, mais aussi de la souffrance et de l’angoisse. En effet, la blancheur, l’innocence des visages et des corps fait bientôt place à des scènes de nudité et de désir avant de se substituer à des images de désolation, de destruction, de détresse, de folie et de mort. Au niveau des couleurs, le changement s’opère aussi : les teintes claires, la pureté des visages et des corps fait place à des palettes plus vives en lien avec la représentation de la sexualité avant d’accueillir des teintes plus sombres dans lesquelles apparaissent la nuit, le sang, des têtes coupées, des éclairs, des monstres et des scènes de dissection.
Avec « Beauty », Rino Stefano Tagliafierro nous embarque dans un curieux voyage, nous initie au cycle de la vie, aux grandes émotions qui la jalonne, et nous offre un vibrant hommage à l’art. Loin de se substituer aux œuvres et de se montrer irrévérencieux envers les peintres et leurs peintures, il revisite l’histoire de l’art et nous permet de regarder autrement la peinture, avec toujours cette idée de souffle, de mouvement minimal entre fixité et animation. Par moments, le réalisateur rompt même la continuité des images en osant des zooms, des ralentis ou des ruptures.
Déjà évoquée, la musique, mais aussi le design sonore de Enrico Ascoli, ayant beaucoup travaillé avec Donato Sansone (« Portrait », « Topo glassato al cioccolato », « Videogioco »), participent grandement à la réception du film par la qualité de son morceau principal proposé tout le long, mais aussi par des détails plus discrets insérés dans la B.O. (mouvements de l’eau, rires, expressions du désir, illustration instrumentale).
Intense, audacieux, beau et dur à la fois, le film nous transporte dans un au-delà pictural, dans une vision de la vie parfois désillusionnée, et joue avec notre perception du réel d’une manière remarquable. Il semble que les peintures ont un secret à nous révéler et qu’elles ne sont plus tout à fait les mêmes après vision. Rino Stefano Tagliafierro nous offre un très beau cadeau, une expérience unique, sensorielle, et transforme notre regard en animant l’inanimé. Son film très abouti est fort probablement le plus beau film d’animation vu ces dernières années. On en arrive presque à espérer qu’il se saisisse d’autres peintures pour poursuivre son exploration de l’art, son travail autour du mouvement et du souffle.
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Article associé : l’interview de Rino Stefano Tagliafierro
Magnifique du jamais vu pour ma part beaucoup émotion
Magnifique insuffle le mouvement de la vie aux toiles de maîtres donne une force expressive qui bondissent de l immobilité des tableaux émouvant et troublant