En avril dernier, Format Court décernait un prix au film « Peine perdue » d’Arthur Harari lors de la onzième édition du Festival de Brive. Ce conte d’été moite et solaire avait convaincu notre jury par son sens de la dramaturgie, son élégance d’écriture et pour l’intelligence de sa mise en scène. Nous sommes allés à la rencontre de ce jeune réalisateur talentueux qui a accepté de revenir pour nous sur la genèse de son film, sur ses méthodes de travail et sur ses futurs projets.
Comment es-tu arrivé au cinéma ?
J’ai toujours voulu faire des films. Comme pour mon grand frère (Tom Harari), c’est un désir qui remonte à l’enfance. Notre grand-père était acteur, on a regardé beaucoup de films à partir de nos dix ans. Cette envie était assez naturelle pour nous. On a commencé en bricolant des petits films en Super 8, puis je me suis mis à l’écriture. Tom s’est emparé de la caméra, il s’occupait de l’image. J’ai continué à réaliser des courts-métrages en parallèle de mes études à la fac, et lorsque je me suis rendu compte que seule la réalisation de films m’intéressait, j’ai arrêté d’aller en cours.
Tu écrivais, Tom filmait et votre petit frère, Lucas, s’est vite retrouvé devant la caméra.
Dans nos premiers films, Lucas était une silhouette, une figure qui traversait l’image. Dans « Peine perdue », il endosse pour la première fois le premier rôle. J’avais réalisé auparavant un essai documentaire en vidéo sur ma relation avec lui, une sorte de diptyque à la Eustache qui s’appelait « Le petit ». C’est comme si je réalisais un portrait de lui à travers mes films et sur plusieurs années, en suivant son évolution.
« Peine perdue » est ton troisième moyen-métrage, après « Des jours dans la rue » et « La Main sur la gueule » (Prix du Jury à Brive en 2007). Il signe donc ta troisième venue sur le festival. Peux-tu revenir sur la genèse de ce film, qui est un peu particulière ?
« Peine perdue » est en quelque sorte un film de commande, issu de la proposition faite par un producteur et par le chanteur Mehdi Zannad à plusieurs cinéastes de réaliser des films pour chaque chanson d’un de ses albums de musique. J’ai été l’un des premiers à répondre à la commande et j’ai ai soumis rapidement un scénario de court-métrage. Entre temps, le projet a évolué, j’ai écrit un personnage de musicien qui ne correspondait pas vraiment à Mehdi et j’ai fini par proposer le rôle à Bertrand Belin. C’était la première fois que je réalisais un film sans en éprouver l’absolue nécessité. Bien sûr, j’ai investi le projet de désirs et de choses personnelles à mesure que l’on préparait le film et sa réalisation est devenue nécessaire. Seulement, mon désir de filmer était plus serein, moins vital.
Le récit de « Peine perdue » est construit autour d’une scène matricielle, cette scène de concert qui ouvre le film et d’où, par le truchement du regard et des gestes du personnage de Rodolphe, s’organise un jeu de désirs entre plusieurs personnages. Ce qui est surprenant, c’est que tu envisages ensuite la construction de l’intrigue selon les points de vues de chaque protagoniste. Les enjeux du récit et de chaque scène sont ainsi redessinés en permanence.
Je me rends compte aujourd’hui que j’aime partir de situations archétypales qui reposent sur des figures un peu mythologiques pour écrire mes scénarios. L’intérêt pour moi, c’est de creuser à l’intérieur de situations que l’on connaît par cœur (le désir triangulaire, le ressentiment, la haine…) en cherchant à les rendre plus retorses, à les retourner dans tous les sens jusqu’à ce que l’on ne puisse plus discerner clairement les intentions de chacun. J’essaye de représenter cette espèce de vertige entre le désir et la pensée d’un personnage, ce moment où il est pleinement habité par son désir et la manière dont il pense son état.
Ce « vertige », cette balance permanente est inscrite jusque dans le langage. Les personnages usent dans les dialogues de formules, de mots dont ils questionnent le sens et l’origine.
J’aime beaucoup chercher l’étymologie des mots et jouer sur les mots dans la vie de tous les jours. Cela traduit sûrement une tendance naturelle à remettre en cause l’évidence des choses et in fine à leur découvrir un sens caché, ou à leur redonner une certaine noblesse. Les leurres, les pièges du langage ne m’intéressent pas pour concevoir des petits jeux virtuoses mais pour ce qu’ils révèlent de tragique, de déchirant dans la nature humaine.
Tu inventories dans ton film les motifs connus de la drague (la danse, la discussion, la ballade en barque, la sérénade…) en les plaçant à des endroits stratégiques dans la narration, ce qui te donne l’opportunité d’en explorer le sens. Comment envisages-tu l’écriture ?
Renoir disait quelque chose de très juste : on a plus de chances d’aboutir à une vision originale si l’on s’approprie une histoire déjà vue mille fois, si l’on s’empare de motifs et de figures éculés que l’on donne à voir sous un jour nouveau. Je pense que si l’on cherche l’originalité absolue, on se retrouve pris au piège car contraint de surprendre en permanence. De toute manière, on en revient toujours aux archétypes.
Dans ton film, les acteurs donnent l’impression d’avancer sur un fil tendu, ils font surgir dans leur manière de parler et dans leurs gestes une forme de trivialité qui par moments confine au grotesque. Ce qui est fort, c’est que ces saillies emplissent les scènes de vie et rendent palpable la tension du désir et des enjeux entre les personnages.
C’est quelque chose que je recherche en travaillant avec des acteurs qui n’en sont pas vraiment, au sens où ce n’est pas leur métier, qu’ils n’ont pas de formation. J’ai une attirance pour les interprètes capables de mettre en scène de façon imparfaite, non maîtrisée, ce qu’ils sont dans la vie. Les éléments comiques ou ceux qui relèvent de certains clichés ajoutent à cet aspect trivial, un peu détonnant, notamment dans les premières scènes (les dragues, la danse…). Certains ont même qualifié mon film de « sitcom existentielle », comme si une production AB glissait vers le drame (rires). Pour moi, le ridicule est un élément essentiel de la dramaturgie, la noblesse d’un personnage est décuplée si sa part de ridicule est intégrée et prise en compte. Ce qui m’intéresse au fond, c’est d’envisager chaque élément dans sa totalité et d’essayer de le représenter avec tout ce qu’il charrie de sublime et de grotesque.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Je suis actuellement en pleine préparation de mon premier long-métrage qui s’intitule « Diamant Noir ». Le tournage débutera au mois de juillet en Suisse. Nous tournerons entre la Belgique, la Suisse et l’Inde.
Propos recueillis par Marc-Antoine Vaugeois
Articles associés : la critique de « Peine perdue », la critique de « La Main sur la gueule »
One thought on “Arthur Harari : « Pour moi, le ridicule est un élément essentiel de la dramaturgie, la noblesse d’un personnage est décuplée si sa part de ridicule est intégrée et prise en compte »”