Présenté dans la compétition « Travailleurs du monde » au festival Millenium cette année, le film de Raf Custers livre un témoignage déconcertant sur les conditions inhumaines imposées aux habitants ruraux de la RDC par les usines minières multinationales. Programmée en collaboration avec le Centre National de Coopération au Développement (CNCD 11.11.11), la projection était suivie d’un échange enrichissant entre la salle et Arnaud Zacharie, directeur du centre, Romain Gélin du Groupe de Recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea) et Santiago Fischer de l’ONG « Commission Justice et Paix ».
En décrivant un phénomène localisé dans une zone bien précise, la province congolaise du Katanga, le film dénonce une réalité répandue dans une grande partie du continent africain, à savoir l’exploitation unilatérale des richesses. En effet, non seulement la population locale ne profite aucunement de ses propres ressources qui sont accaparées par l’extérieur sitôt sorties de terre, mais elle doit en plus subir la nuisance provoquée par ces activités confinant à l’illicite.
On assiste de manière flagrante à un dumping (au sens littéral) de polluants dans les eaux des villages aux alentours des usines, sans que cela ne choque aucune autorité. Les protestations des victimes se diluent dans les méandres de la bureaucratie, et ce malgré l’adoption d’un code minier au niveau national. C’est que ce texte prescriptif se contente de suggérer des mesures de responsabilisation des industries au lieu de les imposer. Les raisons pour ce laxisme fatal sont vite connues : la pression internationale pèse lourdement de tous les côtés, venant des états voisins, l’Afrique du Sud, ou de bien plus loin, la Chine ou l’Union Européenne, tous sont parties prenantes de cette caverne d’Ali Baba recelant le cuivre et le cobalt, métaux précieux valant l’or de nos jours pour leur rôle primordial dans les appareils électroniques.
Le film de Custers va donc loin dans ses interrogations, à l’instar de la réalité qui n’est elle-même pas unidimensionnelle. Celle-ci ne peut se résumer à des constats simplistes, comme la corruption au niveau local, les conflits tribaux, ou la croissance des implantations chinoises dans le continent. La réalité, pour autant qu’on puisse la cerner par le biais d’un documentaire, est un alliage de tous ces facteurs et de bien d’autres. La force de ce film est de tenir compte de cette complexité tout en interrogeant avec la même inexorabilité tous les acteurs, que ce soit au Nord ou au Sud, en Occident ou en Orient, sur leur part de responsabilité dans une situation qui ne pourrait être considérée autrement que comme une catastrophe humaine.
Ce rapport problématique que les nations défavorisées entretiennent avec le monde développé (l’Inde en est un exemple parlant, se situant à la fois du côté de l’exploité et de l’exploitant, surtout vis-à-vis de l’Afrique) a fait l’objet d’autres documentaires vus au festival par le passé. « Blood in the Mobile » de Frank Poulsen (Danemark, 2010) démasque le rôle sournois de l’industrie de la télécommunication dans le maintien des conflits civils en Afrique. « E-Wasteland » de David Fedele (Australie/Ghana, 2012) dresse quant à lui le portrait d’une jeunesse ghanéenne accablée par la misère au point de se livrer au travail dangereux de brûler les câbles électroniques en plein air pour en récupérer les métaux précieux (tout comme les jeunes Congolais dans « Avant le vent » s’aventurent dans des aires radioactives pour glaner des métaux de valeur).
Ces films nous font réfléchir sur notre consumérisme acharné et irresponsable, en nous montrant une réalité barbare dont nous ne soupçonnons nullement l’existence derrière nos ordinateurs et écrans de téléphone portable. Combien d’entre nous se doutent que la production comme le recyclage de nos téléphones – qu’on renouvelle presque aussi souvent que sa garde-robe – engendre de telles injustices sociales dans le monde ? Quand bien même on le saurait, se sentirait-on assez concerné pour repenser ses comportements ?
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