Présenté en compétition européenne au Festival Européen du film court de Brest, en novembre dernier, « Misterio » y a reçu le Prix Format Court. Ayant déjà une belle carrière à son actif, le court métrage de l’Espagnol Chema García Ibarra propose un cinéma à la frontière du fantastique.
Le réalisateur laisse entrevoir dans « Misterio » ce qu’on pourrait prendre pour une critique du poids du paraîre dans une société figée dans ses conventions telle que peut parfois être l’Espagne. Pour autant, comme à son habitude, Chema García Ibarra semble aussi et surtout vouloir ici s’amuser de faits presque surréalistes mais bien ancrés dans la réalité comme l’écoute de la voix de la Vierge à travers la peau d’un jeune homme.
D’une tournure d’esprit farfelue déjà entrevue dans ces précédents films « El ataque de los robots de nebulosa-5 » » et « Protoparticulas », le réalisateur construit ici une histoire jalonnée de séquences courtes et curieuses à travers lesquelles le spectateur se laisse conduire jusqu’à la fin quasi surréaliste du film.
D’un point de vue esthétique, il utilise pour la première fois la couleur et traite l’image comme des natures mortes, très composée avec beaucoup de détails. L’oeil voit l’ensemble mais ne peu déterminer la somme des choses qui la compose.
Dès l’ouverture, on est plongé dans une exposition presque choquante du quotidien de la vie de l’héroïne principale du film de Chema García Ibarra : une femme espagnole au visage fermé, taciturne et besogneuse. Le réalisateur filme une succession de séquences où cette femme (la voisine du réalisateur) est mise en scène dans sa pauvre vie : son mari vit sous assistance respiratoire, son fils (le cousin du réalisateur) est un nazi, et elle travaille dans une manufacture régie par des règles immuables et archaïques. Un quotidien qu’elle affronte docilement chaque jour, mais qui semble pourtant s’abattre sur elle.
Cette femme, toujours dans le cadre, un peu décentrée, fait partie de ces tableaux qui se jouent à l’écran mais elle n’incarne rien. Elle est un accessoire dans le décor, un maillon d’une chaîne bien rodée.
Et puis, il y a le moment de bascule. Le noeud de l’histoire réside dans une croyance religieuse partagée : le fils d’une femme de la communauté aurait été touché par la Vierge et quiconque écouterait sa nuque entrerait automatiquement en communication avec elle… Comme ses congénères, l’héroïne se prête au rituel mais ne semble pas entendre de propos de la Vierge. En revanche, il s’agit là d’un déclencheur. A partir de cet instant sa vie change irrévocablement.
En terme de rythme, le réalisateur réussit, par la reprise de séquences du début du film, à donner du corps à ce moment de bascule en transformant légèrement les mouvements quotidiens de la femme : ce décalage induit un passage de sa vie docile à sa fuite en avant. Là où elle respectait les règles, elle trahit maintenant systématiquement les codes de sa propre existence. Plus rien n’est cadré, elle n’est plus dans son rôle.
Dans les dernières séquences, on assiste à la lecture d’une lettre de la femme qui explique les raisons de sa fugue, ses raisons d’être partie pour vivre ses rêves en laissant sa famille, ses amies, ses collègues.
Parfois un peu difficile a décrypter, le cinéma de Chema García Ibarra a quelque chose de profondément ironique. S’il avait travaillé le thème de l’espace, de l’ailleurs dans ces précédentes réalisations, il montre ici encore une fois un personnage en marge de sa société, en proie soudainement à un doute si grand qu’il remet tout en question. Avec « Misterio », il manie avec précision le geste du cinéaste qui critique – ici une société religieuse et traditionnelle – en suggérant une ouverture artistique puissante, un univers singulier touchant et percutant.
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Article associé : l’interview de Chema García Ibarra et Leonor Diaz