Bambi, nommé aux César du Court Métrage 2014, est le onzième film de Sébastien Lifshitz et comme souvent, le réalisateur nous entraîne pour notre grand plaisir, dans une histoire autour du corps et de l’identité; et ceci qu’il navigue entre le court et le long, entre la fiction et le documentaire.
Le réalisateur aime à traiter des sujets tabous tels que la sexualité, l’homosexualité, la transsexualité, gênants pour certains, soulevant des polémiques pour d’autres, sans jamais tomber dans la rébellion ou la vulgarité. Bien au contraire, Sébastien Lifshitz maîtrise l’intime et la sensualité comme nul autre, faisant des personnages qu’il filme, des individus hors du commun extrêmement touchants.
Bambi, c’est le nom de scène de Marie-Pierre Pruvot, transsexuelle très connue des années 50-60, où des opérations de changement de sexe commençaient tout juste tandis que les cabarets de travestis défrayaient la chronique. Difficile de passer à côté de l’incroyable beauté de cette femme filmée sous tous les angles avec un immense esthétisme. Preuve que Sébastien Lifshitz aime particulièrement les personnes qu’il suit et les rend d’autant plus belles. Avant de passer au cinéma, le réalisateur baignait, il est vrai, dans le milieu de l’art contemporain et la photo, d’où son goût pour un certain esthétisme.
Le film ne parle pas uniquement de la période « cabaret » de Bambi ; il retrace en réalité toute l’existence de Marie-Pierre Pruvot depuis l’enfance où celle-ci était déjà persuadée qu’elle était une petite fille et non pas un garçon comme son entourage et son entre-jambe tendaient à lui démontrer. Dans le film de Sébastien Lifshitz, la voix posée de Bambi commente les magnifiques images d’archives d’Alger où elle est née et décrit cette lutte identitaire dès son plus jeune âge pour ne plus être le Jean-Pierre qu’on lui impose d’être.
Pour Bambi, la révélation et la liberté ont lieu lorsqu’elle découvre puis intègre un cabaret de travestis : le Carrousel à Paris. Sa vie prend alors un tournant essentiel et elle peut enfin vivre sa vie de femme comme elle l’a toujours souhaité. Elle quitte ensuite le milieu de la nuit pour se « réorienter » et devenir professeur de français investie dans sa nouvelle vie plus rangée dans l’enseignement.
Le film avance dans le temps, entrecoupé de nombreuses images d’archives et d’entretiens avec Bambi. On sent entre celle-ci et Sébastien Lifshitz une grande complicité faisant que Bambi se confie naturellement et en toute sincérité. On passe alors du rire aux larmes durant ces 57 minutes tant le témoignage de Bambi est doté d’une grande sensibilité : elle possède beaucoup d’autodérision quant à ses prises d’hormones parfois démesurées et sait se montrer terriblement poignante lorsqu’elle tombe finalement amoureuse d’une autre femme remettant en cause ses choix identitaires.
Avec « Bambi », Sébastien Lifshitz signe un très beau documentaire à la fois élégant, faussement engagé et terriblement émouvant. À l’heure où les questions d’identité de genre et de sexualité provoquent des révolutions dans la rue ou sur les réseaux sociaux, « Bambi » apparaît alors comme un bijou qui prouve que le combat pour se faire reconnaître et trouver sa place selon ses choix identitaires et sexuels en vaut la peine. On souhaiterait presque que ce film fasse écho et mette fin à toutes les mauvaises idées reçues, malgré le fait que le propos de Sébastien Lifshitz ne soit en rien militant.
Nécessaire actuellement, le film, classé dans la catégorie court métrage, présente cependant une carrière faite plus volontiers de sélections et de prix en festivals de longs (dont la très réputée Berlinale) que de courts.
Aussi réussi soit le film de Sébastien Lifshitz, on ne manquera pas de remarquer que sa nomination pour le César du Meilleur Court Métrage peut en surprendre plus d’un dans la cour du court métrage, ceci, bien entendu sans remettre en question les évidentes qualités du film.
Force est de noter que le cas de Bambi est un peu unique : en effet, le film est à la limite du long-métrage documentaire avec ses 57 minutes et on sait par ailleurs, que le réalisateur maîtrise déjà parfaitement le format long, puisqu’il a remporté l’an dernier, le César du Meilleur Documentaire avec Les Invisibles, film remarquable sur les homosexuels « cachés » des années 60 et qu’il avait déjà réalisé sept autres longs-métrages auparavant. Notons que Bambi fait partie de ces rares films prévus pour une diffusion télé (ndlr : le 19 juin 2013 sur Canal+) qui possèdent des qualités inédites pour plaire et sortir en salle. La société de distribution Epicentre a ainsi pris le film sous son aile et lui a permis d’atteindre plus de 100.000 entrées. Parmi les films qui ont connu un destin un peu similaire, le long-métrage La journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld avait été diffusé sur Arte avant de sortir en salle, et des moyens métrages étaient sortis finalement sur grand écran comme Un monde sans femmes, de Guillaume Brac ou encore Orléans de Virgil Vernier. Se pose alors l’éternelle question de la diffusion et de la visibilité de tous ces courts métrages qui, contrairement à des cas comme Bambi, ont très rarement une vie sur grand écran (voire sur petit écran).