En entretien, Juan Antonio Espigares, le réalisateur de « Fuga », Prix Format Court au dernier festival Court Métrange, revient sur son parcours et son film, subtil mélange de recherches visuelles et sonores. Techniques d’animation variées, rapport étroit avec le compositeur, exploration des limites, … : le cinéaste andalou nous décrypte son film et sa construction.
Peux-tu nous raconter ta trajectoire personnelle ?
J’ai réalisé mon premier court-métrage « La escalera de Escher » en 2001 pour le festival Notodofilmfest avec lequel j’ai remporté le prix Canal+. Ce prix consistait alors en une aide à la production pour un nouveau court-métrage, « Sere Ertit », une fiction fantastique que j’ai écris et réalisé. Après ça, j’ai combiné mes études de design industriel avec la réalisation de films publicitaires et des clips musicaux pour la télévision, et aussi la supervision des effets spéciaux dans différentes productions, jusqu’à ce que je me décide finalement à écrire et réaliser un nouveau court, mon premier en animation, « Fuga ».
Quelle est ta relation avec le court-métrage ?
Réaliser « Fuga » a été pour moi un rêve d’enfant devenu réalité. J’ai toujours voulu réaliser une histoire sous forme d’opéra avec une musique symphonique originale comme fil conducteur. J’en ai parlé un jour à mon ami Arturo Díez Boscovich qui est compositeur, et nous nous sommes lancés ensemble dans cette aventure.
« Fuga » est entièrement réalisé et produit en Andalousie. Peux-tu nous parler des conditions de production du court-métrage en Espagne ?
À vrai dire, je ne sais pas très bien comment ça fonctionne en général, et je ne peux que parler de la production de « Fuga ». Nous sommes parvenu à le monter grâce aux efforts d’un petit groupe de personnes (l’équipe d’animation a été uniquement formée par quatre personnes qui ont travaillé ensemble pendant trois ans), et l’aide de plusieurs collaborateurs privés, parmi lesquels ont bien sûr compté l’Orchestre Philarmonique de Malaga et la boîte de production andalouse Andale Films.
Quel est ton regard sur les créations courtes espagnoles ?
Je crois qu’il y a beaucoup de talents émergents en Espagne depuis de nombreuses années, particulièrement dans le champ de l’animation. Elles ont presque toujours des budgets minuscules mais sont très motivées à réaliser leurs films dans les meilleures conditions. Pendant la période où j’ai accompagné « Fuga » dans de nombreux festivals, j’ai pu voir de nombreux films espagnols que j’ai trouvés d’une qualité exceptionnelle.
Comment as tu imaginé l’histoire de « Fuga »?
Pour moi, il était primordial que l’usage de la musique comme fil conducteur soit pleinement justifié. Je ne voulais pas que ça soit aléatoire ou accessoire. L’histoire d’une étudiante en violon confronté à ses propres limites avec ce “grand final” m’a semblé contenir la force dramatique nécessaire pour que la musique ne subjugue jamais l’histoire, et que les deux fonctionne toujours ensemble en lien avec l’intensité émotionnelle.
« Fuga » mélange différentes techniques d’animation. Comment as tu travaillé avec l’équipe d’animation ?
Ça a été la partie la plus dure et la plus longue du processus qui a quand même duré plus de trois ans. J’ai toujours incité l’équipe à apporter constamment ses idées sur la façon dont nous pouvions aborder les différents styles de dessins et d’animations dans le film. En fait, la base de travail a été la même que celle que j’ai suivi avec la musique : l’emploi des techniques d’animation et la façon dont elles se mélangent et changent au long de l’histoire devaient avoir une justification.
Dans « Fuga », la perception des personnages et des décors change selon le point de vue où l’on est placé. Pourquoi ce parti pris ?
C’était pour moi une des parties les plus importantes. La musique et le style d’animation devaient dépendre directement du point de vue du personnage. C’était le leitmotiv du film : une recherche visuelle et sonore qui puisse représenter ce que chaque individu ressent à tout instant de sa vie en fonction des événements qui l’entoure, et surtout la façon dont il les perçoit.
Le passage à la prise de vue réelle arrive à un moment clé du film, peux-tu nous en parler ?
Dans cette scène, mon intention est de montrer le point de vue objectif de l’histoire. Jusqu’à ce moment, on est sans arrêt balancé entre les différentes perceptions que les personnages ont de leur environnement, et la fin essaye de les montrer d’un point de vue extérieur, celui de l’observateur.
La musique est vraiment importante dans le film, comment s’est passé la collaboration avec Arturo Diez Boscovich ?
Après avoir écrit le scénario, j’ai fait un petit tableau avec les temps forts émotionnels du récit qu’il a utilisé comme guide pour composer. Ensuite, nous avons enregistré avec l’Orchestre Philarmonique de Malaga et, en utilisant la musique comme base, nous avons construit le dessin des personnages et le style d’animation que cela m’inspirait. Habituellement, on enregistre la musique à la fin de la production quand tout est déjà filmé, animé et monté, mais nous ne l’avons pas fait comme ça. Nous avons réussi à élaborer un procédé artistique extrêmement organique, dans lequel le travail des uns inspirait celui des autres. J’espère vraiment pouvoir retravailler avec lui de cette manière dans le futur.
« Fuga » s’achève sur une référence à Sainte-Cécile, pourquoi ?
Le conservatoire de musique où se trouvent les élèves est d’origine religieuse et Sainte-Cécile est la patronne des musiciens. Le plus important de cette image de fin, qui est un tableau de Sainte-Cécile peint sur le plafond du conservatoire, est surtout la citation qui l’entoure et que le spectateur peut relier avec l’histoire qu’il vient de voir.
Le titre du film est « Fuga » (« Fugue » en français), quel sens a t’il par rapport au film?
« Fuga » pointe directement la construction musicale de la “fugue”, comme par exemple celle de Jean-Sebastien Bach et sa “Toccata et fugue”. Une fugue se définit comme la répétition d’une mélodie dans différentes tonalités, ce qui me semblait correspondre tout à fait à l’histoire que nous racontions.
As-tu des nouveaux projets de court-métrages ?
J’adorerais pouvoir faire un autre court, mais pas un auquel je devrais encore dédier trois ans de ma vie. Actuellement, j’écris une nouvelle histoire, mais ça sera pour un long-métrage.
Propos recueillis et traduits par Xavier Gourdet
Article associé : la critique du film