L’histoire du blues sur fond de racisme et de désespoir amoureux. Ces thèmes ne sont pas très gais et pourtant, le réalisateur belge Rémi Vandenitte a de quoi se réjouir en ce début d’année 2014 : son film Betty’s Blues a déjà été sélectionné dans 59 festivals aux quatre coins de la planète (Anima, Annecy…) en plus de figurer parmi les 10 films présélectionnés dans la catégorie animation aux César 2014. Rémi Vandenitte est licencié en illustration aux Beaux-Arts de Bruxelles et en cinéma d’animation à La Cambre et, avec ce premier film post-école, il laisse à penser que sa carrière ne s’arrêtera pas là. Betty’s Blues, co-produit avec la France (Les Films du Nord, les Trois Ours et Lunanime), concourt ces jours-ci au 26e Festival Premiers Plans d’Angers.
Le film raconte l’histoire d’un jeune guitariste qui tente sa chance dans un vieux bar de blues de Louisiane en chantant la légende de Blind Boogie Jones. Ce dernier était un musicien de la Nouvelle-Orléans des années 20 qui a connu une histoire d’amour puis de vengeance suite à des actes racistes. Pour évoquer le flash-back, ou tout du moins, la plongée dans la légende de Blind Boogie Jones, Rémi Vandenitte a eu l’ingénieuse idée de mettre en place deux techniques différentes : les marionnettes en stop motion pour ce qui est de la vie réelle, du présent du film, et l’animation 2D traditionnelle pour ce qui est du passé ou de la fable racontée. Néanmoins, les deux techniques restent connectées puisqu’elles respectent l’une et l’autre l’univers de la Louisiane, de l’esclavage et du blues : les marionnettes sont brutes et boisées, évoquant la couleur noire de la peau des esclaves ainsi que leur vie laborieuse dans les champs, et l’animation 2D rappelle la linogravure, assez utilisée à cette époque et dans les BD autour de l’histoire de la musique jazz & blues. Si bien que de la pénombre de ce bar où le guitariste entonne sa chanson devant une petite assemblée blasée, on plonge naturellement dans les tristes mésaventures de Blind Boogie Jones, et on passe d’une animation à l’autre sans soubresauts.
Il faut dire que la musique conduit à la perfection les images et les changements d’époque puisque sa propre histoire est évoquée ici: du blues et du boogie de grande qualité nous entraînent tout le film durant. Autrement dit, la musique est à la fois utilisée pour raconter l’histoire et être racontée. Elle accompagne l’intrigue, crée des rebondissements et donne le ton. Par ailleurs, Blind Boogie Jones se sert de cette même musique dans son histoire d’amour puis pour sa vengeance : il vit une romance avec une jeune fille qu’il a attiré par ses rythmes à la guitare, puis après l’avoir perdue à cause d’un groupe du Ku Klux Klan et être devenu aveugle, il hérite d’un don musical venu des limbes qui fait danser absolument tous ceux qui l’écoutent. Sa musique fédère les gens jusqu’à ce qu’il retrouve les blancs esclavagistes coupables de son malheur qui, ne sachant pas danser, vont courir à leur perte en écoutant ces rythmes de blues quasi endiablés. On a donc ici les origines fantasmées du blues en pleine ségrégation américaine : une musique avec un rythme afro et des propos porteurs d’espoirs chantés par des Noirs au cœur d’une histoire tragique, celle de l’esclavage et du racisme.
Rémi Vandenitte parvient littéralement à nous emporter avec son film en mêlant à merveille les aspects techniques et musicaux à la narration artistique. On notera peut-être un petit manque de rythme sur la fin, mais on demeure cependant séduit par ce premier film, qu’on apprécie ou non le blues, qui plus est parce que le réalisateur a su faire de cette histoire cruelle un réel conte musical porteur d’un message universel.
bonjour,
Malgré ce bel article, je tiens à réagir sur un détail.
l’histoire de Blind boogie jone se déroulant dans les années 20. il me semble curieux de parler d’esclavage, alors que celui ci a été aboli vers 1863. Qui plus est, le ku klux klan n’est apparut qu’après l’abolition de l’esclavage en représailles à celui ci.
Bien à vous.
Françis
Bonjour Francis,
Je vous remercie de cette remarque qui est tout à fait juste. Néanmoins, il s’agit bel et bien du Ku Klux Klan qui attaque Blind Boogie Jones dans ce film de Rémi Vendenitte et l’organisation, même si elle a en effet été créée juste après l’abolition de l’esclavage, existait encore malheureusement dans les années 1920.
Par ailleurs, je comprends que vous souligniez mon utilisation peut-être pas à bon escient du terme « esclavage », mais le Ku Klux Klan dans son côté raciste extrême, était très lié aux esclavagistes justement, puisqu’il est apparu en réaction à la défaite des esclavagistes.
Bref… j’espère avoir pu corriger la confusion causée par ce texte.
Et bien entendu, ça ne retire en rien la grande qualité de ce film.
Bien à vous.
Camille