Après avoir réalisé deux courts métrages d’études, « Dropping the night » et « Quand vient l’hiver », remarqués notamment dans les plus prestigieux festivals portugais, Jorge Jácome réalise un film assez fascinant, à la frontière de l’expérimental. Son étrange « Plutão » était présenté en compétition lors du dernier festival du film court de Brest.
Le présent : le scientifique et David
Ouverture pop sur une image noire avec en son centre un gros point lumineux bleu. Jorge Jácome prend le parti d’immerger immédiatement son spectateur dans une sorte d’hypnose lancinante. Les vibrations lumineuses de ce point isolé surprennent le regard et interrogent sur la nature de l’objet devant lequel nous sommes. La clé de ce mystère est assez rapidement donnée : cette masse ronde n’est autre que la représentation imagée de la planète Pluton.
À partir de là, très rapidement, le réalisateur expose frontalement les bases du récit, sans doute pour ne pas s’embarrasser d’amas de figures de style dans un film déjà très complexe et foisonnant de propositions tant visuelles qu’attrayantes au récit.
Dans les premières minutes, on comprend que l’on a affaire à deux protagonistes, l’un étant incarné par une voix off masculine, l’autre étant un jeune homme, David, filmé face caméra dans une posture fixe. Le dispositif du film ainsi exposé, le réalisateur déroule son récit sous une forme d’entretien, presque formel, entre les deux hommes : la voix interroge et s’interroge, là où David répond et se replonge dans une histoire d’amour passée.
Le passé : Pluton et Joana
Le principe étant ainsi posé, le réalisateur tricote une histoire qui entremêle deux désespoirs. Celui du narrateur-voix off, un scientifique qui a travaillé tout sa vie pour mieux connaître Pluton mais dont tous les espoirs ont été déchus un jour d’août 2006 où la planète a perdu son existence en étant déclassée par la communauté scientifique; et celui de David qui a aimé et partagé un long temps de sa vie avec Joana, son ancienne petite amie.
Jorge Jácome traite en parallèle ces deux vies dont les chemins coïncident en un sentiment commun : une profonde déception. Il s’agit là d’une crise de confiance en soi, du constat du caractère faillible de la mémoire et des souvenirs. Ici, cette crise est incarnée dans le ressenti exprimé par David et la voix off. Une planète, qui n’en est plus une, se confond avec le souvenir d’une amante perdue, et ces deux entités deviennent petit à petit des inconnues qui perdent leurs substances.
Face à un sujet aussi cinématographique que la mémoire, déjà si brillamment traité par des maîtres du cinéma, Jorge Jácome prend en quelque sorte un contre-pied en choisissant de se focaliser non sur le souvenir mais bien sur la volonté d’oubli. Les personnages acceptent que les choses ne soient plus. Oublier est ici une solution pour quitter un état de déception et de tristesse.
À l’image, quand le personnage de David évoque les souvenirs qu’il a de sa relation avec Joana, le réalisateur opère des choix de mise en scène assez prégnants qui appuient sur l’expression des souvenirs de David. Avant qu’il ne rencontre Joana, il est plongé dans l’obscurité, enfermé dans le cadre et filmé à travers des vitres, comme emprisonné dans un aquarium. À l’inverse, les apparitions de Joana apportent la lumière et sont une ouverture sur le monde. Jorge Jácome oppose aux images solaires et vives du récit de l’amour, des impressions visuelles de pénombre, d’isolement, de trouble quant il s’agit de la fin de leur histoire. Les lignes sont plus fuyantes, les couleurs ternies.
Plusieurs fois dans le récit, le réalisateur passe, sans réelle transition, entre ces moments de souvenirs d’amour de David aux souvenirs du scientifique sur Pluton. On passe alors en vue subjective sur un bureau qui porte les traces du travail de toute une vie sur Pluton.
Le futur : Tabula rasa
Le film se termine ainsi sur l’abandon des marques du passé. Les gestes sont les mêmes pour le scientifique que pour l’amoureux : là où l’un constate la disparition d’une planète sur les manuels et les cartes du ciel, l’autre se sépare des photos du sujet de son amour. Les deux ont été ébranlés dans leurs certitudes, et confrontés au changement.
La voix off résumera ce passage d’un état à un autre : « Les affiches des salles de classe et des boutiques des musées ont été remplacées, de nouveaux objets comme Pluton continueront à apparaître. Nous allons nous habituer à cette idée, comme s’estompe peu à peu de la mémoire celle d’un ancien amour. Le temps passe et nous espérons aller vers de nouveaux horizons ».
« Plutão » laisse une impression de vides à combler, celle d’un film à maturer pour bien comprendre le propos dense et un peu confus qui nous est exposé. Pour autant, il se produit au visionnage une impression forte, une sensation de toucher à quelque chose d’assez universel. Un moment de cinéma à part, peut-être un peu fragile dans la réalisation, mais qui laisse apercevoir le talent de ce jeune réalisateur attiré par les étoiles.