Tous les deux ans, le festival de Bruxelles Filmer à Tout prix propose une programmation riche et hétéroclite de documentaires de création. Entre approches multiples des problématiques du réel et souci esthétique de l’expression cinématographique, Format Court s’est penché avec un œil curieux sur la compétition des programmes courts pour y dénicher quelques perles. Parmi les premiers films internationaux, nous avons remarqué « Escenas Previas », le film de la réalisatrice polonaise Aleksandra Manciuszek, qui nous plonge dans le huis clos intime d’une masure cubaine pour une émouvante triangulaire transgénérationnelle entre un père, sa fille et son petit-fils.
Dès les premières images, le décor se pose. Un couloir coloré qui traverse la maison, puis une salle de bain décrépie où l’on retrouve trois générations de personnages dans une scène quotidienne de vie familiale. Le jeune enfant pleure des douleurs qui lui tordent les intestins, la mère tente de le réconforter, et le grand-père à moitié nu s’occupe du linge. Entre eux, s’échangent des propos habituels et anodins d’où transpire une certaine inquiétude quant à la santé et aux conditions de vie alimentaire de l’enfant. Les tableaux se succèdent alors dans une série de plans fixes magnifiquement photographiés, où l’on découvre les relations entre ces trois protagonistes. Le vieil homme, atteint d’une maladie respiratoire qui semble devoir l’emporter très prochainement, passe ses journées entre sa fille et son petit-fils avec lesquels il partage sa vie.
On aurait tort de chercher dans « Escenas previas » une quelconque analyse de fond sur Cuba. Le cadre cubain est finalement peu développé et sert surtout de contexte social et culturel sans importance réelle face à l’universalité de la thématique développée. Car « Escenas previas » s’attache surtout à mettre en lumière une intimité, un regard sur le sens de la famille et sur les notions de présence et d’accompagnement entre les générations. Au centre du film, brillent les yeux d’un enfant, comme brillent aussi ceux d’un grand-père, alors que la mère, elle, semble tout irradier de son rire et de sa force de vie. Réflexion sur la famille et sur la transmission, le film d’Aleksandra Mancuiszek nous amène à nous interroger sur le temps qui passe et sur la valeur de ce qu’on y laisse. Le temps, voilà la toile de fond. Le présent, le passé, l’avenir, tout se mêle dans « Escenas previas » pour une recherche de sens qui n’est pas sans rappeler les propos du poète Ronsard : « ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous ». Que restera-t-il quand le temps aura passé sur cette maison délabrée ? Que restera t-il à cet enfant qui vient d’y naître ? Que rester- t-il de ce vieil homme au crépuscule de sa vie ? Que restera t-il à cette femme qui va perdre son père et élever son enfant seule ? L’émotion se cache dans chaque plan et parle à tous d’une humanité universelle. L’image est somptueuse, et les cadres parfaitement composés jouent de la distance, des lumières et des couleurs pour faire écho à l’atmosphère du film et placer le spectateur face à une intensité émotionnelle de toute beauté.