Présenté à Cannes dans le cadre de la compétition officielle cette année, le court métrage iranien « Bishtar Az Do Saat » (Plus de deux heures) d’Ali Asgari est une métaphore éloquente de la confrontation entre tradition et modernité dans le contexte d’un jeune Iran renaissant des cendres de la Révolution Twitter.
Un jeune couple se rend à l’hôpital, en plein milieu de la nuit, pour cause d’une hémorragie incontrôlable chez la jeune fille. Avec pudeur et appréhension, ils révèlent la perte de la virginité de celle-ci, déclenchant immédiatement une grande méfiance et l’obligation de produire des preuves de mariage. L’urgence médicale devra attendre le règlement de cette situation douteuse dans un pays qui proscrit sévèrement les rapports sexuels pré-maritaux.
Le culte de la virginité caractérise beaucoup de sociétés, notamment celles où la liberté féminine est entravée par le poids social et clérical. Cependant, le parcours de l’Iran est singulier, avec son histoire abondant de révolutions et son tiraillement constant entre un conservatisme accablant et une soif de modernité. Les droits de la femme en particulier incarnent cette hybridité, entre une émancipation poussée, à une époque même imposée, et toutefois une soumission à une loi misogyne. La génération d’aujourd’hui semble ressentir un besoin impérieux de relever le défi du changement, et le septième art iranien porte fidèlement depuis plusieurs décennies le flambeau de cette expression.
Avec « Bishtar Az Do Saat », Ali Asgari affirme sa place parmi ces réalisateurs de la nouvelle vague iranienne, en sachant susciter une réflexion d’ordre sociologique par le biais d’une fiction intimiste parfaitement ficelée. Au lieu de partir sur une narration démonstrative et explicite, il parsème d’abord son récit de petits indices laissant d’emblée entrapercevoir la véritable nature de la situation : lorsque le couple rentre au premier hôpital, le garçon rappelle à la fille de mettre sa bague sur sa main gauche. De même, Asgari rend son propos universellement accessible en y introduisant des éléments permettant à tout spectateur de saisir les codes culturels de la société iranienne : il est frappant de voir la première infirmière s’adresser fixement à la fille alors que son vrai interlocuteur est le garçon.
La mise en scène capture avec justesse la tension qui souligne tout le récit qui se déroule dans la noirceur d’une nuit froide. Filmés de manière quasi documentaire (le récit est d’ailleurs basé sur une vraie histoire), les personnages sont présentés à travers un dispositif franc qui les suit de dos confinés dans la voiture, ou les accompagne nerveusement dans les couloirs crus et antipathiques des hôpitaux. Par conséquent, le choix de passer, pour la scène finale, devant les personnages et de les filmer de face prend une signification importante. C’est comme si l’acte d’amour commis par les jeunes ingénus était d’emblée condamné et auto-punissant, que ce saignement était la rétribution de cette Ève bannie du paradis, qui plus est, dans le pays originel de l’acception. Cependant, le parti pris du réalisateur est de présenter les choses comme des constatations, sans drame et sans hyperbole. Seule l’urgence de la situation qui tend vers le fatal pousse le couple à s’obstiner et à supplier les autorités de fermer les yeux devant leurs circonstances et de déroger à leur transgression. Le point de vue d’Asgari est tout à fait exempt de jugement. L’antagoniste ici est le système, ce régime inexorable, et non pas ceux qui l’appliquent à la lettre de peur d’éveiller son courroux. Fléau du monde moderne, où que ce soit d’ailleurs : le cri de l’être humain tombe dans les oreilles du pouvoir sourd, absolu, impitoyable.
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Article associé : l’interview d’Ali Asgari