L’interview avec Sébastien Betbeder, réalisateur de « Je suis une ville endormie » n’ayant pu se faire à Clermont-Ferrand lors du festival, le rendez-vous fut pris à Paris. Le hasard faisant parfois bien les choses, la rencontre se fit tôt le matin face à l’entrée du parc des Buttes Chaumont, lieu central et mystérieux de « Je suis une ville endormie », ce film déroutant et beau qui sortira sur les écrans le 13 mars prochain dans sa version longue.
Comment vous est venue l’idée du film et surtout de filmer ce lieu, le parc des Buttes Chaumont ? Auriez-vous pu choisir n’importe quel autre parc ?
Je ne suis pas parisien de naissance, j’ai vécu dans les Pyrénées. J’habite à Paris depuis 13 ans environ et j’ai toujours vécu à proximité du parc, presque par hasard en fait, souvent pour des raisons de loyer. Cela fait donc longtemps que je le connais et le fréquente, je l’ai toujours trouvé cinématographiquement très inspirant et très mystérieux sans savoir d’où cette étrangeté pouvait venir. J’y écris souvent et l’idée de faire de ce lieu le sujet de mon film est devenue de plus en plus insistante.
Pour la première fois, , je me suis forcé à ne pas trop écrire le scénario de façon à retrouver les premières impressions face à ce lieu. Je me suis un peu renseigné sur le passé du parc en découvrant quelques pépites puis je me suis arrêté en me disant : « N’allons pas trop loin pour ne pas que ça devienne un film sur le parc ». Je trouvais ça assez fou que le lieu ait été complètement inventé par l’être humain, qu’il soit né de nulle part, comme on part d’une page blanche, que l’Homme puisse inventer un lieu aussi mystérieux.
Le couple que forment Agathe Bonitzer et Pio Marmai est un vrai couple de cinéma incarné par des acteurs de cinéma alors que vous aviez plutôt l’habitude de travailler avec des acteurs de théâtre. Ce couple donne au film un souffle très romanesque, classique et cinématographique. Comment s’est arrêté ce choix ?
Cela me fait plaisir que vous disiez ça car pour moi la réussite du projet tenait beaucoup au fait que le couple marche et qu’il y ait tout de suite chez le spectateur quelque chose de l’ordre de la référence à un cinéma classique, à une croyance dans des acteurs capables de représenter une idée du cinéma. Pio est arrivé un peu tard sur le projet mais il a accepté le projet en très peu de temps avec beaucoup de générosité car les conditions pour un court étaient assez difficiles avec un tournage très long notamment. J’avais envie d’un comédien qui ait ce mystère, qui ait quelque chose aussi de très physique et de très romantique.
Pour Agathe, c’est assez différent, c’est une des premières personnes à avoir lu l’ébauche de scénario un an et demi à l’avance. C’était impératif pour moi que ce soit elle. Peu de comédiennes ont ce pouvoir d’attraction, on parlait de canons classiques, elle a dans son visage quelque chose de très pictural.
Justement, le film fait une référence au peintre Georges de La Tour et le physique d’Agathe Bonitzer est la réplique parfaite de ces femmes au teint de porcelaine.
J’avais écrit ce passage en pensant qu’Agathe accepterait le rôle effectivement et c’est ce qui s’est passé heureusement !
A-t-il été difficile de tourner dans le parc des Buttes Chaumont, de jour comme de nuit, et d’obtenir les autorisations ?
La première condition indispensable pour faire le film a été d’obtenir l’aide de la commission du film de la Ville de Paris. Cela a été un soutien très précieux. Il n’y avait jamais eu de tournage de nuit aussi long aux Buttes Chaumont. L’appui de la Ville de Paris auprès des Parcs et Jardins a été déterminant. Les nuits étaient courtes entre mai et juin ce qui a rendu le tournage très intense. On a souvent terminé des plans à l’aube.
L’interview d’un psychiatre au beau milieu du film intervient comme une coupure nette du rythme narratif et fictionnel. C’est aussi un pont vers la suite du film et cela ne laisse que peu de doutes sur le futur de Théodore. Quand ce choix-ci s’est-il fait ? Au scénario, au moment du montage ?
Les interruptions de la fiction, comme l’idée des images d’archives au début du film, étaient prévues dans le scénario. Cette intervention du psychiatre devait en effet avoir des conséquences directes sur la suite du film. J’ai toujours été intéressé par les effets de l’environnement sur la psychologie. J’avais été très intrigué par le syndrome de Paris qui touche ces Japonais qui fantasment un lieu et qui tombent dans la dépression suite à une déception. Je me suis renseigné et il y a des histoires comme ça aux Buttes Chaumont.
Déjà dans vos films précédents, « Les mains d’Andréa », « La vie lointaine » et « Yoshido », la place accordée à la nature était essentielle. Ici, c’est un film « urbain » qui prend la ville comme décor mais finalement Paris est comme mangée par la force du parc des Buttes Chaumont. Cette présence de la nature est-elle un élément indissociable de votre cinéma ? Qu’est-ce qu’elle lui apporte?
Je ne suis pas un citadin « naturel » et ça ne me paraît pas naturel de vivre en ville, pourtant je le fais par obligation et par goût aussi. Je suis toujours frappé de voir à quelle vitesse se fait l’acclimatation en ville pour quelqu’un qui viendrait de la campagne. Et vice versa. Il y a quelque chose de fou de voir qu’on puisse oublier l’idée de la nature.
J’ai toujours tendance, de manière presque inconsciente, à écrire des films où mes personnages s’évadent de la ville. Dans ce film-là, l’idée que les passages des grilles du parc puissent en quelque sorte symboliser l’inversement des territoires me plaisait beaucoup. Que le parc devienne la ville et que la ville devienne l’extérieur. Dans mon prochain film, les personnages quitteront par deux fois Paris pour la montagne, en Suisse et en Auvergne.
Votre choix répété de réaliser des films courts entre 50 et 60 minutes amène à la question de la diffusion car beaucoup de festivals – notamment internationaux – ne retiennent pas ce qu’on appelle les « moyens métrages » et ceux-ci sortent très rarement en salles. Comment se passe la discussion avec le producteur autour du projet et quels sont les avantages d’une telle durée en termes de création ?
C’est une démonstration de courage hallucinante de la part des producteurs et des sélectionneurs – je suis d’ailleurs très reconnaissant à Clermont pour avoir sélectionné le film sachant la place qu’il prend dans un programme. C’est un format que j’adore, ce qui se passe autour d’une heure. Je trouve absurde le principe du passage du moyen (même si le terme n’existe pas) au long et les incidences que cela peut avoir sur la vie d’un film. J’ai vécu ça avec difficulté sur « La vie lointaine » même si le film avait plutôt bien marché. Environ 80% des festivals prennent des longs à partir de 1h01 et des courts jusqu’à 30 minutes. Ici, on est dans un espace qui n’existe pas du tout. « Je suis une ville endormie » a été financé comme un court métrage mais le premier montage qui nous convenait tournait autour d’1h10. On a donc fait deux versions. Ce qui est étonnant c’est qu’avec la version longue – qui est sensiblement la même – on a eu des sélections dans des festivals comme un long métrage (à Toronto notamment) et je pense que le film n’aurait pas existé de la même façon avec sa version de 59 minutes. On se retrouve avec deux versions d’un film pour répondre à des critères de visibilité.
Propos recueillis par Amaury Augé
Article associé : la critique du film
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Le film était projeté au Festival de Clermont-Ferrand dans le cadre de la compétition Nationale F1