Tout le monde a déjà entendu parler de ce bon vieux Raspoutine, conseiller du Tsar de Russie que l’on qualifia bien souvent de sorcier. Mais connaissez-vous réellement son histoire ? C’est en tout cas celle-là que souhaite nous conter le narrateur de Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, film de fin d’études de Céline Devaux, récompensé du Prix du Meilleur Film d’Animation francophone (S.A.C.D.) au dernier Festival de Clermont-Ferrand et présenté ces jours-ci au Festival Anima à Bruxelles. Celui-ci commence non pas par une image mais par une voix qui s’exprime en vers, celle du conteur. Cette voix profonde interpelle le spectateur. « Bienvenue à toi » nous dit-elle, et, interpellé par cette invitation chaleureuse et par un décor plongé dans le noir au sein duquel seuls apparaissent des yeux, on s’installe et se prépare à entrer dans la sombre vie de Grigori Efimovitch Raspoutine.
L’image, soudain, s’éclaircit, et voici un loup de Russie ! Le récit commence, et le tout, image et voix, s’accompagne d’une musique intrigante qui évoque les heures sombres d’un Est lointain. Cette création musicale est l’œuvre originale de Flavien Berger, et accompagne chaque image et chaque mouvement des personnages en créant une atmosphère juste, tantôt légère, tantôt inquiétante. Raspoutine, quant à lui, se meut parfaitement dans ce décor en noir et blanc. Il s’agit d’un personnage filiforme qu’on nous présente avec une liste d’adjectifs aussi longue que le titre du film, aussi longue que le personnage est grand.
Pour Vie et mort de l’illustre Grigori Efimovitch Raspoutine, Céline Devaux joue sur les formes, les transformations des corps, les apparitions et disparitions du personnage dans le décor. La silhouette de Raspoutine se tord constamment, se courbe devant le Tsar, se pavane devant les femmes et se faufile devant l’ennemi, à l’instar du personnage qui parvient à intégrer la cour et à séduire toute la Russie, suscitant par la même occasion passions et jalousies. Les corps se transforment à l’image selon le texte et les situations, alliant parfaitement le son et l’image dans une maîtrise avérée de l’expression par le mouvement.
Le film est une animation de peintures sur celluloïd, une matière plastique qui a servi à la production de pellicules pour l’industrie cinématographique. On ressent dans le travail de Céline Devaux une envie de rendre hommage au cinéma comme à la peinture. Le choix du support, du noir et blanc, ainsi que du panneau annonçant le titre rappellent les films muets du cinéma des premiers temps, tandis que le graphisme évoque des influences picturales variées. Les dessins, très détaillés, sont composés de multiples formes géométriques qui foisonnent à l’écran, sous forme de damiers ou de mosaïques. Ces riches toiles de fond, la partition occasionnelle de l’écran en plusieurs parties et les formes mouvantes et abstraites font de cette œuvre un objet cinématographique très riche dans lequel se livre une véritable danse des corps et des formes, le tout savamment alimenté par une musique originale et un texte non dépourvu d’humour.