Dans Prematur, le court-métrage lauréat du Prix Format Court au Festival de Brest, présenté ces jours-ci au Festival de Clermont-Ferrand, la réalisatrice norvégienne Gunhild Enger a su mêler de manière très maîtrisée, la sobriété à la violence, raison pour laquelle son film a retenu notre attention.
Martin, norvégien et Lucía, sa petite amie espagnole, attendent un enfant. Les parents de Martin viennent les chercher à l’aéroport et leurs retrouvailles se déroulent dans un seul cadre fixe, celui de l’intérieur d’une voiture. On aperçoit le décor humide des paysages norvégiens qui défile par les vitres au fur et à mesure que les langues se dénouent, particulièrement celle d’Anne-Lise, la mère de Martin.
Tous font preuve d’une politesse et d’une amabilité exemplaires qui deviennent, au fil du film, de plus en plus hypocrites, jusqu’à la brisure totale. On sent pourtant les efforts des parents de Martin pour converser avec leur belle-fille et tenter de la mettre à l’aise. Les sujets de discussion sont de l’ordre du cliché, passant des conditions de voyage du jeune couple aux diversités touristiques de l’Espagne et de la Norvège. Malgré une communication peu évidente, en partie due à la langue, la mère tâche de combler les vides. Le silence devient alors un personnage à part entière, celui qui créé le malaise dans cet espace confiné.
Lorsque les sujets abordés se font de plus en plus intrusifs, la tension monte entre le jeune couple et les parents. Et l’espace clos de la voiture créé une réelle sensation d’enfermement, d’étouffement, qui n’est pas à même de changer d’autant plus qu’aucune musique ne vient libérer le spectateur.
La mère aborde un sujet sensible et terriblement malveillant qui aurait pu largement offenser la jeune femme enceinte : celui de la perte d’un enfant durant la grossesse, en faisant allusion à une tante qui a vécu cet incident, tout en lui conseillant de se préparer à cette situation. Bien que particulièrement heurtée, la jeune fille n’ose rien dire ; c’est son petit ami qui craquera finalement devant le manque absolu de finesse de la part de sa mère. Son père, lui, garde le silence, en soutenant à la fois son épouse et en craignant également de prendre position. C’est à ce moment que nous prenons en compte le double sens du titre donné par Gunhild Enger : « prématuré » pour l’enfant né et mort avant l’heure, et la « discussion prématurée » pour le sujet évoqué trop tôt et hors contexte.
Suite aux mots brutaux de sa mère, le cordon est par conséquent coupé et la rupture est si brutale que Martin sort de la voiture. Métaphoriquement, il s’extrait de cette cage pour respirer, quitter le ventre de sa mère et refuser désormais tout échange avec elle.
Avec son film, Gunhild Enger réussit à nous prendre en otage, 15 minutes durant, pour parler de la violence et de l’écart générationnel. Elle parvient également à filmer avec subtilité ce qu’on appelle un moment de vie : un épisode choisi et déterminant dans la vie familiale. Nous nous retrouvons en effet témoins d’une scène « banale » où les protagonistes passent progressivement de la discussion à la dispute, toujours avec un seul et même point de vue qui se veut volontairement assez neutre.
On notera à ce propos le jeu des comédiens, d’une rare justesse et d’une incroyable crédibilité : de la joie des retrouvailles à un sentiment d’amabilité forcée jusqu’à la rupture totale, tout se joue avec une extrême finesse et une incroyable retenue. On pense alors à « Festen »de Thomas Vinterberg ou encore à certains films de Michael Haneke où la froideur des affole nos nerfs de spectateurs.
Consulter la fiche technique du film
Articles associés : Gunhild Enger : l’expérience de la temporalité, l’interview de Gunhild Enger
un film PARFAIT ! tout est au TOP
je faisais partie du jury Passeurs de Courts du festival de BREST 2013, nous l’avons sélectionné sans hésitation. PREMATUR fera sans doute une tournée dans notre réseau CINEPHARE très bientôt (réseau de 33 salles « carrément de l’ouest »)