Velocity de Karolina Glusiec

Dessin et mémoire

Dessins instinctifs, musique lancinante, voix off hypnotisante : tous les ingrédients sont réunis pour une immersion dans les vestiges de la mémoire. « Velocity », film d’école issu du Royal College of Art, présenté en Labo à Clermont-Ferrand, est un film qui parle avant tout à nos sens. C’est une réflexion sur la mémoire et ses multiples perceptions, sous une forme peu commune : celle de dessins en noir et blanc inspirés par les souvenirs de son auteur.

Le trait de Karolina Glusiec possède quelque chose de primaire et d’instinctif. Elle parvient à retranscrire avec beaucoup d’authenticité un état ou une émotion qui appartient au passé, avec un effet de réel saisissant. Devant nos yeux, les paysages, les impressions, les visages extirpés de sa mémoire reprennent vie. Ses souvenirs d’enfance enfouis réapparaissent furtivement; le temps d’un instant, nous les partageons avec elle.

Comme à bord d’un train, nous apercevons, pendant quelques secondes, de notre fenêtre des formes qui finissent par devenir familières. Le train fait d’ailleurs partie des motifs récurrents du film. Chaque jour, à la même heure, année après année, il emprunte le même trajet. « Je pensais que je connaissais tout cela par cœur : les pavés, les immeubles, les gens (…) », entend-on. Avec le temps, ces lieux lui sont pourtant devenus étrangers. En les dessinant de mémoire, Karolina Glusiec tente de retrouver ce monde qu’elle a connu enfant et qui a cessé d’exister.

L’immersion dans cet univers se fait d’abord par la voix profonde et hypnotique du narrateur (Dougie Hastings). Les mots qu’il prononce donnent de la couleur aux souvenirs de réalisatrice, ils nous guident à travers les méandres de sa mémoire. La musique obsédante et itérative participe aussi de cette ambiance.

velocity

La répétition des formes, des mots et des sons instille un rythme qui – si on veut bien prendre le temps de le découvrir – nous plonge dans une espèce d’état second. Nous nous retrouvons alors dans une sorte de monde parallèle dessiné – un monde qui n’aurait pas effacé sa propre mémoire. « Cet endroit ne ressemble plus à cela maintenant. Cette image n’existe pas. Le dessin est réel mais la mémoire n’est plus que dans ma tête », poursuit le narrateur.

Tel le héros de « La Jetée » de Chris Marker, présenté en ouverture du Festival de Clermont, le narrateur possède une qualité rare, poétique et empreinte d’une certaine nostalgie : celle de pouvoir habiter ses souvenirs. « Je me rappelle regarder passer les trains, je me rappelle à quoi tout cela ressemblait. Mais je ne me rappelle pas quand tout a changé » redit la voix. À travers cette expérience intime et sensorielle, le narrateur prend conscience que le monde ne l’a pas attendu, et par la même expérimente sa propre finitude.

Julien Beaunay

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