Jean-Gabriel Périot, à qui nous avons déjà consacré un focus, est un habitué du Festival du Court-métrage de Clermont-Ferrand puisque sa première participation à l’événement auvergnat remonte à 2004 avec son film « We are winning, don’t forget ». Depuis, la filmographie de cet auteur prolifique n’a cessé de croître, explorant tour à tour la diversité des styles du court métrage, parfois expérimental, fiction ou documentaire, mais toujours avec cet indéfectible attachement à la recherche du sens et au questionnement par l’image. Pour sa 35éme édition, le Festival de Clermont-Ferrand témoigne une nouvelle fois de son intérêt pour le travail de cet auteur multiforme en intégrant pas moins de trois de ses films à sa grille de programmation : « Nos jours, absolument, doivent être illuminés » dans la compétition nationale, « The Devil », dans la compétition labo, et « Nijuman no borei » diffusé lors des séances Courts de Rattrapage (programme CR2).
The Devil
Avec « The Devil », Jean-Gabriel Périot décortique en à peine plus de 7 minutes l’histoire du mouvement des Black Panthers dans l’Amérique des années 60 et 70. Sur la base d’archives audiovisuelles en noir et blanc, Périot renoue avec un style de montage percutant qu’on ne lui avait plus connu depuis 2009 et « L’art délicat de la matraque ». Il nous livre cette fois le portrait d’une lutte saisissante, celle d’une communauté réagissant à la violence par la violence, au nom de la reconnaissance des droits et de l’égalité.
Le film s’ouvre par les quelques mots d’une jeune femme noire, « Vous ne savez pas qui nous sommes… « , comme pour nommer l’ignorance propre à toutes formes d’intolérance. Puis, la musique de Boogers démarre, sur un rythme lent qu’illustre une galerie de portraits d’enfants dans les rues de ghettos misérables et une série de gros plans sur les visages d’hommes noirs. Les regards sont durs et nous mettent bien face à l’humanité qui s’en dégage. Ils soulignent en même temps la question raciale, ces traits négroïdes conditionnant la ségrégation. Les images d’archives choisies par Périot sont marquées par le temps, renforçant le côté brut des scènes présentées. Comme une partition visuelle en parfaite harmonie avec la musique, Périot cadence les images sur le rythme du morceau de Boogers pour nous faire traverser cette histoire du mouvement social noir américain. Des séquences symboliques de l’escalade insurrectionnelle s’enchaînent sur un montage qui alterne les phases. Des scènes de violence ordinaire où des « blacks » se font tabasser par des « pigs » tournent en boucles syncopées alors que la guitare électrique fait rage. À la mobilisation pacifique pour les droits civiques et l’émergence des leaders noirs, succède la répression brutale, à laquelle répond comme une nouvelle boucle de plus, la militarisation du mouvement Black Panthers et sa radicalisation. Une chorégraphie de poings levés accompagne les défilés marchant au pas entre des drapeaux brandis et des postures martiales en lunettes noires et bérets de guerre. Peu à peu, la musique s’estompe pour laisser la place aux discours révolutionnaires au sein d’assemblées mobilisatrices. La colère, l’orgueil, la révolte, le sacrifice, l’affirmation s’expriment alors à pleine voix dans des gros plans d’images recentrées. Et comme pour boucler la boucle et répondre à la question initiale posée par la jeune femme au début du film, « The Devil » s’achève sur cette phrase à l’écho prolongé : « We are beautiful ».
Jean-Gabriel Périot aime interroger l’Homme à travers son histoire, et son regard sur la lutte nous pousse à réfléchir sur la récurrence des schémas historiques. L’Amérique d’Obama n’est peut-être plus tout à fait celle des Blacks Panthers, mais il est difficile d’oublier qu’aujourd’hui en France, les réactions se hérissent contre l’ouverture de droits aux minorités sexuelles, se superposant aux ardeurs xénophobes du récent débat sur l’identité nationale.
Nos jours, absolument, doivent être illuminés
Avec « Nos jours, absolument, doivent être illuminés », Jean-Gabriel Périot réalise un film documentaire de 22 minutes à la charge émotionnelle déroutante. L’histoire de ce film est liée à celle de l’auteur avec la maison d’arrêt de la ville d’Orléans. Suite à une projection de ses films dans les lieux quelques années auparavant, Périot organise en 2011 un concert avec les détenus pour un public rassemblé à l’extérieur, sous les murs de la prison. C’est le projet initial, il ne s’agit alors pas de faire un film, mais plutôt de créer un lien entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, de bâtir un pont vibratoire au-delà des murs. L’idée du film est venue après, et s’est greffée sur le projet de façon presque accidentelle.
Le film débute par un plan large de l’installation telle qu’elle est configurée dans la rue, une simple paire d’enceintes aux pieds des hauts murs de la prison. On entend des chants d’oiseaux, puis les premiers accords d’un piano, et enfin des voix d’hommes qui commencent à entonner » La chanson pour Pierrot » de Renaud. La caméra est installée côté rue, ne s’intéressant exclusivement qu’à saisir les réactions du public recevant les voix de ces hommes et femmes enfermés de l’autre côté du mur. Dans un rythme très lent, se succède à l’image une série de portraits dans des plans-séquences très longs et resserrés sur les visages qui nous confrontent aux personnes de façon étroite. Très vite, tout devient intérieur. Parfois à la limite du champ, le mouvement naturel des individus est à l’intérieur du cadre fixe de la caméra, tout comme sont intérieures les émotions qu’ils ressentent. On ignore le pourquoi de leur présence. Simples badauds, ou parents de taulards ? La question est ouverte et sollicite notre imagination. L’esprit humain est ainsi fait qu’il cherche à comprendre… Comprendre les histoires et les vies de ces hommes et de ces femmes réunis ici sous les murs, pour un instant de communion avec ceux de dedans. On est alors amené à scruter le moindre détail de ces visages anonymes pour en percevoir l’émotion brute ; on se surprend à questionner chacune des rides de ces visages marqués par la vie, à guetter les éclats miroitants au fond des pupilles, à interpréter les sourires, les attitudes et les postures de chacun, pour envisager leur vie et se projeter, au plus profond de leur intimité. Il y a quelque chose qui tient du voyeurisme qui est renvoyé au spectateur, quelque chose de tellement intrusif qu’il pourrait presque en devenir gênant.
Il n’y a pas de mots échangés pour la caméra, sauf bien sûr ceux des chansons puisées dans un répertoire populaire qui laisse difficilement indifférent. Comme un dialogue avec l’extérieur, les voix de l’intérieur interprètent, parfois avec une maladresse touchante, les textes de Piaf (« Mon amant de Saint-Jean »), de Balavoine (« Tous les cris, les SOS »), d’Aznavour (« Emmenez-moi ») ou de Polnareff (« On ira tous au paradis »). Autant de chansons qui résonnent comme des cris d’humanité, d’espoir et de fraternité par dessus les murs d’une prison. Pour le spectateur l’empathie alors devient complète, et l’on vibre à l’unisson de cet instant magique, submergé d’émotions.
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