John a un seul et unique objectif : remporter le concours Georgia Bodybuilding Championships. Pour cela, il impose à son corps une discipline de fer. Sa vie est rythmée par les entraînements, le reste est accessoire.
Vouloir faire un film sur le quotidien de John, un jeune culturiste, qui possède un poster d’Arnold Schwarzenegger au-dessus de son lit peut laisser perplexe plus d’un spectateur. Hugues Hariche, dont le film « Flow » passe à Brest ces jours-ci, aurait pu se contenter de montrer banalement l’ordinaire de son personnage, John, interprété par John Fournier, culturiste de son état. Au lieu de cela, il dépeint avec justesse un homme seul au milieu des autres, se confrontant à des questions qui résonnent au-delà de la salle de musculation, et nous donne à voir une autre facette de cette discipline méconnue qu’est le culturisme.
En nous rendant témoins de l’intimité de John, en nous apprenant, par la voie de son médecin, qu’après son accident, il n’aurait jamais dû remarcher, en utilisant les codes de la fiction, en structurant le récit autour de la seconde chance, avec un acteur jouant son propre rôle, « Flow » interpelle et semble osciller entre fiction et documentaire.
Ce dispositif hybride rappelle celui employé par Darren Aronofsky dans « The Wrestler », où une ancienne légende du catch tente de revenir dans la lumière après une longue traversée du désert. Aronofsky n’avait bien évidemment pas choisi Mickey Rourke au hasard, son personnage étant largement inspiré de la vie de l’acteur. Si les a priori sont nombreux lorsqu’il s’agit de catch ou de bodybuilding, les deux films réussissent à prendre à contre-pied les préjugés, pour montrer avec honnêteté et sans ambages les tragédies et les destins respectifs vécus par les deux personnages.
Dans « Flow », seule compte la détermination sans failles dont fait preuve John pour atteindre son rêve, celui de remporter le concours de bodybuilding. Imposant, taiseux et obstiné, rien ne semble l’atteindre, pas même Laurie, la jeune femme qui, contrairement aux autres, prend le temps de s’intéresser à lui. Pourtant, lorsqu’une après-midi, il se rend sur la plage pour parfaire son bronzage en vue de la fameuse compétition, deux jeunes hommes se moquent de son physique et font naître chez lui une certaine amertume. Cette scène met en lumière la tension qui existe entre l’image que John offre aux autres et celle qu’il a de lui-même. Ces moqueries permettent aussi d’intégrer à la narration les critiques communément faites au culturisme, sans qu’elles viennent parasiter la perception du récit.
La mise en scène n’est pas la seule à participer à l’isolement de John. En utilisant une lumière saturée voire éblouissante, notamment pour les lumières extérieures, le réalisateur maintient son personnage dans un petit périmètre au-delà duquel le reste du monde est difficilement perceptible. Le jour J, celui du concours, les repères changent : la caméra s’affranchit du personnage de John, prend plus de distance avec lui et admet la profondeur de champ. John se révèle, il se met à exister au travers du regard des gens qui le voient sur la scène. Sous les feux des projecteurs, son visage s’illumine, ses muscles assurent le spectacle, il se métamorphose. Une nouvelle vie commence.
« Flow » parvient avec habilité à aborder un sujet complexe en touchant des problématiques essentielles dans un contexte habituellement réservé aux films d’action. Un véritable tour de force.