Fragments d’une métamorphose
La fine fleur du clip est réunie cette année dans la sélection “Décibels” du 34e Festival de Clermont Ferrand. Parmi les heureux élus, on note la présence de « The Shrine / An Argument » (Fleet Foxes) réalisé par Sean Pecknold, « Cecelia & Her Selfhood » (Villagers) réalisé par Adrien Merigeau, de « The bench » (Sissi Lewis Kitty) réalisé par Crowther et Bruno Salamone, mais aussi de « Oofplane //Selekt the machine » (Dj Oof) réalisé par Frédéric Jaîs Elalouf.
Ce programme comporte également un film déjà présenté l’année dernière au Festival de Berlin, « Scenes from the Suburbs » de Spike Jonze (qui avait déjà fait l’objet d’une critique). En voici, près d’un an plus tard, une V2, à l’occasion de la projection du film en France et de la disponibilité du film en ligne.
Bercé par la musique du groupe canadien “Arcade Fire”, ce court métrage aux faux airs de clip vidéo explore les souvenirs éparses de l’adolescence d’un jeune homme, Kyle, sur le point de passer à l’âge dit “adulte”.
Après “Where the Wild Things Are”, Spike Jonze poursuit ici son étude de l’enfance et de l’adolescence en nous livrant une oeuvre sincère, forte et subtile. Il réussit à créer une profonde osmose entre la musique (c’est à dire l’album “The Suburbs” de Arcade Fire) et les images, nous faisant entrer dans le quotidien et l’intimité d’adolescents d’une banlieue pavillonnaire. Cette alchimie s’explique en partie par le fait que deux des membres de Arcade Fire, Will & Win Butler ont participé avec le réalisateur à l’écriture du scénario. Pour la petite histoire, les frères Butler ont eux mêmes grandi dans la banlieue de Houston au Texas et reconnaissent volontiers avoir puisé dans leurs souvenirs d’enfance pour écrire cette histoire.
L’image de la banlieue proprette est immédiatement contrebalancée par l’utilisation du format d’image Scope qui donne une ampleur et une beauté habituellement inappropriée à ce genre de décor, le format “CinemaScope” étant en effet habituellement utilisé au cinéma pour filmer les grandes étendues et notamment les westerns.
En quelques plans, le réalisateur de “Being John Malkovich” se joue de “l’image d’Épinal” qui colle aux banlieues américaines et installe une menace peu ordinaire dans ce genre de lieu : un climat de guerre urbaine. Ce choix scénaristique permet d’inscrire le récit dans une atmosphère inquiétante à double titre : d’une part, la tension évidente liée à la présence de soldats cagoulés et armés au beau milieu de maisons résidentielles aux façades fleuries et ensoleillées; d’autre part le trouble intérieur et latent ressenti par un adolescent qui voit terminer son enfance et commencer sa vie d’adulte.
Les adultes n’apparaissent d’ailleurs pas ici sous leur meilleur jour : ceux que l’on peut voir sont soit des policiers en faction soit des soldats violents (y compris le grand frère de Winter, en permission). Les seuls adultes civils que l’on peut apercevoir quelques instants sont mise en joue par les soldats, l’un d’entre eux est même abattu sans sommassion. Au beau milieu de ce climat de guerre civile, les adolescents semblent finalement être les seuls à conserver le goût de la vie.
Le film se construit sur le postulat énoncé par la voix off de Kyle dans les premiers instants du film : « When I think back about that summer, I don’t think much about the army. There was always some sort of conflict going on (…) So now, what I really try and think about are my friends from back then. (…) I wish I coud remember every little moment. But I can’t. »/ « Quand je me rappelle de cet été, ce n’est pas à l’armée que je pense. Il y avait toujours de la tension dans l’air (…) Ce que j’essaye maintenant de faire c’est d’essayer de me souvenir de mes amis (…) J’aimerai pouvoir me souvenir de chaque instant. Mais je ne peux pas ».
“Scenes from the suburbs” s’articule autour d’instants rescapés de la mémoire de Kyle, pleins d’ellipses et d’impressions furtives. Une des réussites du film réside dans son aptitude à retranscrire avec authenticité et justesse le ressenti d’un petit groupe d’adolescents. Refusant d’idolâtrer l’adolescence, Spike Jonze parvient à trouver le ton juste chez ses jeunes comédiens et à maintenir l’équilibre fragile entre vague à l’âme et effervescence.
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