« L’homme à la caméra et au Kalachnikov»
Pour sa troisième édition, le Millenium International Documentary Festival qui s’est clôturé à Bruxelles le 14 juin dernier a rassemblé pas moins d’une cinquantaine de films documentaires réalisé par des cinéastes indépendants. Parmi eux, « Shooting with Mursi», sélectionné en compétition internationale et lauréat de l’Objectif de Bronze, Meilleur message de la diversité culturelle (Prix UNESCO). Un film fort, original et engagé du réalisateur britannique Ben Young.
Les Mursis sont un peuple semi-nomade, originaire du sud-ouest de l’Ethiopie. Ils vivent en autarcie, loin de la civilisation, en parfaite harmonie avec la nature mais subissent les assauts de tribus voisines (Bodis), c’est pourquoi chaque homme arrivé à l’âge adulte ne se sépare jamais de son Kalachnikov. Olisarali Olibui est l’un d’entre eux. Ayant eu l’occasion de partir en Australie pour y étudier l’anglais, il en revient équipé d’une caméra mini DV, d’un ordinateur portable et d’un chargeur solaire, habité par l’envie de filmer les siens.
A bien des égards, « Shooting with Mursi » rejoint les ambitions des grands documentaristes tels que Flaherty ou Rouch. Cependant, cette ethno-fiction s’en écarte par le fait qu’elle offre un point de vue différent, dévoilant avec humour le quotidien de la tribu à travers les yeux et le commentaire d’Olisarali lui-même. On assiste donc au conseil des hommes où chacun est libre de parler, du plus jeune au plus ancien, à la préparation du repas ou encore à la punition des jeunes par les plus vieux.
C’est un regard descriptif et compréhensif qui respecte une distance égale entre le filmé et le filmeur ce qui est plutôt rare dans les documentaires anthropologiques où réside encore trop souvent une vision en œillère sur une réalité analysée selon des codes occidentaux provoquant une interprétation biaisée par un sentiment de supériorité d’une culture à une autre. La réalité filmée est davantage un objet de curiosité qu’une découverte faite d’échanges égaux. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, les femmes Mursis, connues pour porter des labrets labiaux (les « femmes-plateaux ») demeurent incomprises par l’Occident qui voit dans cette pratique un acte de barbarie innommable.
Avec le film de Ben Young, il n’en n’est rien grâce à l’usage de la caméra participative qui devient un personnage au même titre qu’Olisarali ou son frère. Comme cette vieille femme qui s’adresse à nous en un plan en face caméra édifiant, déclarant que les Mursis sont des êtres humains comme tous les autres et non des animaux. Olisarali Olibui a compris la force des images et comme il le dit lui-même « ce que je filme aura bien plus d’impact que les balles de mon kalachnikov ». D’où le choix du titre qui, en anglais, joue sur une double acceptation du terme shooting (tourner/tirer).
« Shooting with Mursi » est un portrait authentique, intime, original et inédit d’une tribu, d’un peuple, d’hommes et de femmes qui vivent différemment. Olibui a su grâce à l’aide de Ben Young leur donner une voix, la leur.