Benoît Labourdette : films de poche & Pocket Films

En 2005, le Forum des Images initia le festival Pocket Films, une manifestation attentive aux films tournés exclusivement avec des téléphones portables. Au fil des éditions, les organisateurs ont ouvert leur programmation à tous les créateurs (cinéastes, photographes, musiciens, plasticiens, amateurs, …), les genres (fiction, animation, documentaire, expérimental, clips, portraits, …) et les métrages (courts, moyens voire longs). Entretien avec le coordinateur général de la manifestation, Benoît Labourdette, présent à Bruxelles en novembre dernier en tant que membre du jury de la deuxième édition du festival Cinépocket.

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Le Forum des Images est connu pour investiguer dans le domaine de la création et de la diffusion. Comment est apparu le festival Pocket Films ?

Benoît Labourdette : Au Forum, on a senti qu’un phénomène naissait avec l’apparition des téléphones portables. À chaque fois qu’une nouvelle technologie surgit, elle génère, entre autres, des usages chez les gens. Très tôt, on s’est rendu compte que l’usage du portable était massif : les gens filment, mettent leurs images sur YouTube ou Dailymotion et s’échangent des vidéos. Ils se sont emparés de l’outil et produisent continuellement un certain type d’images parmi lesquelles on trouve des films de famille, des souvenirs personnels, mais aussi des films violents comme les happy slapping. Moins nombreux sont les films qui, à l’instar du cinéma et de l’art en général, ont pour objet de créer quelque chose et de le donner à un spectateur potentiel. Ce sont ces films en lien avec les autres que nous souhaitons diffuser au Festival Pocket Films.

À partir du moment où chacun a un téléphone dans sa poche et est producteur potentiel d’images, le cinéma est-il pour autant à la portée de tous ?

Non, il ne s’agit pas de dire qu’on est tous réalisateurs : une telle idée serait démagogique. Avant l’émergence des téléphones, il y a eu celle des caméscopes. En France, il y avait 5 millions de caméscopes et on ne comptait pas pour autant 5 millions de cinéastes. Là où on est davantage concerné, c’est que le phénomène et l’usage du portable se sont généralisés. Personnellement, je pense qu’il y a un enjeu éducatif très important dans cet outil étant donné qu’aujourd’hui, l’image est omniprésente, d’autant plus que les gens la produisent et la diffusent. Avant 2005, cette situation n’existait pas : je pouvais filmer, mais je ne pouvais pas diffuser mes images, alors qu’aujourd’hui, je mets mon film sur Youtube, et tout le monde peut le voir. Cette nouvelle situation fait que chacun a une responsabilité plus importante. Pourquoi ? Parce que filmer quelque chose n’est pas un geste anodin : filmer, c’est avoir une action sur le réel par l’image, ce n’est pas regarder mais agir.

Dans quelle mesure avez-vous un rôle à jouer vis-à-vis des jeunes ?

À l’école, il n’y a pas beaucoup d’outils pour lire et fabriquer suffisamment les images, du coup il me semble qu’il y a là un enjeu important qu’une institution culturelle se doit d’assumer. Au lieu de transmettre la grammaire de l’image, nous passons par la pratique : nous organisons des ateliers dans lesquels la création artistique et l’expression personnelle ont leur place. Les jeunes que nous rencontrons ont déjà souvent tourné des petites vidéos avec leur téléphone, mais n’ont pas envisagé de les mettre dans un contexte. Nous leur expliquons qu’il est intéressant de faire des films pour les autres et pas seulement pour eux-mêmes.

Est-ce que l’appellation « film de poche » est à rapprocher de certaines caractéristiques du livre de poche, comme sa généralisation et son accessibilité ?

Oui. Comme le livre de poche, le film de poche se diffuse facilement et a un aspect très démocratique. L’appellation a été trouvée par Laurence Hertzberg, la directrice du Forum des Images, lors d’un brainstorming, lorsqu’on a commencé à définir les contours du projet. Ce qui est étonnant, c’est qu’aujourd’hui, le film de poche est devenu un nom commun : on parle d’un « pocket film » pour évoquer un film tourné avec un téléphone alors que c’est juste l’appellation d’un événement et une marque déposée par le Forum des Images.

Chacune de vos éditions évolue en fonction des avancées technologiques. Que peut-on faire aujourd’hui que l’on ne pouvait pas faire à l’époque?

Au fil des éditions, on a suivi de près l’évolution des capacités techniques des téléphones. La plus importante est sûrement la progressive amélioration de la qualité de l’image. Il y a quatre ans, ce qu’on faisait avec un téléphone restait cantonné au domaine de l’expérimentation alors qu’aujourd’hui, il existe des téléphones qui ont quasiment la même qualité qu’une camera DV. A titre d’exemple, le partenariat noué cette année avec Arte dans le cadre de la collection « Caméra de Poche » [Mes 20 ans] n’aurait pas réellement pu se faire en 2005 car la qualité de l’image mobile n’était pas suffisante par rapport aux règles et aux conventions de diffusion.

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Pourquoi privilégierait-on le téléphone portable plutôt qu’une caméra classique ?

Le téléphone va me permettre de faire des choses différemment qu’un autre outil même si classiquement, ce qui fait le film, c’est le choix de tel comédien, tel décor ou tel technicien. Ce qui importe, c’est le dispositif de production choisi et les décisions techniques prises. Pourquoi se laisse-t-on alors tenter par le portable ? Certains réalisateurs y voient une dimension de spontanéité qu’ils ont envie d’incorporer à leur travail; d’autres s’intéressent à sa facilité d’usage, sa légèreté ou encore au traitement de son cadre.

De quelle manière le portable influence-t-il justement le cadre ?

Avec une camera habituelle ou même un appareil photo, on cadre, on a l’œil rivé à l’écran. L’image passe par le regard alors qu’avec le téléphone, beaucoup de gens ne cadrent même plus tellement l’objet est devenu habituel. La façon de porter le regard est complètement différente; cela se ressent dans le résultat. La caméra a un côté vraiment cérébral alors que le téléphone est comme un œil dans la main.

Quels sont vos arguments pour retenir, défendre et programmer un film de poche ?

Il y a plusieurs arguments à prendre en compte. Vu la quantité de films (un peu plus de mille en moyenne depuis deux ans), on est plusieurs à visionner les films et à confronter nos avis. Pour moi, un film, comme n’importe quelle œuvre d’art, doit transmettre quelque chose, une émotion, une idée, etc. Le critère principal est l’intérêt : est-ce que ça nous parle, est-ce que ça nous touche? Autre argument : on prend garde à la spécificité de l’outil. On s’intéresse aux choses différentes et inhabituelles parce qu’elles ont justement été tournées avec un téléphone portable.

Comment les films de poche sont-ils perçus par le grand public ?

Les modes de représentation ont évolué : il y a quelques années, c’était bizarre de voir des images tournées avec un portable mais aujourd’hui, le regard des gens a globalement changé, surtout que nombre d’entre eux font désormais leurs propres images. Même si beaucoup se montrent encore réticents vis-à-vis des films mobiles car ils croient que ceux-ci se rapprochent de ce qu’ils ont l’habitude de voir sur Youtube ou Dailymotion, on a encore un travail constant à faire pour que ces films soient vraiment perçus comme tels : intéressants et différents.

Beaucoup de ces films se font sans budget. Peut-on imaginer une économie pour ce secteur ?

On peut l’imaginer mais pas pour autant la voir se concrétiser tout de suite. La majorité de ces films se fait sans moyens : les gens font des films sans budget, il n’y a pas de financement mais il n’y a pas non plus de recettes. Il y a mille choses à inventer et on a un rôle à y jouer : on essaie de susciter au maximum des financements et d’inventer de nouveaux modèles économiques par rapport aux nouvelles façons dont les gens s’approprient l’audiovisuel. Aujourd’hui, artistiquement, plein de choses se passent dans le monde du film mobile, mais économiquement parlant, tout est à inventer.

Propos recueillis par Katia Bayer

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