Ce film n’a pas suffisamment retenu l’attention de Michel Gondry et de ses acolytes mais il nous a tapés dans le bon œil. Présenté à la Cinéfondation, Der Wechselbalg (L’Echange) de Maria Steinmetz est un conte animé cruel et visuel, investi par les trolls et les représentations médiévales et religieuses.
Un homme et une femme chevauchent les plaines nordiques, tenant un bébé dans leurs bras. Un grand troll croisant leur chemin délaisse sa propre progéniture et enlève l’humain emmitouflé dans ses couches. Son petit troll échoue quant à lui dans les bras du couple, la femme le prenant en affection et en substitut de sa propre chair. En rentrant dans leur village, ils se heurtent au rejet et à la haine des habitants, considérant le troll comme une incarnation du diable. Peu à peu, l’homme, en proie au chagrin et à la culpabilité, se met à se détacher de son épouse et à rejeter son petit troll alors que la femme voit redoubler son instinct maternel.
Der Wechselbalg s’inspire d’un récit (“L’Echange’) issu du recueil Des Trolls et des Hommes de l’écrivain suédois Selma Lagerlöf portant sur un échange à la naissance entre humains et trolls, sur fond d’intolérance et de superstitions populaires que la réalisatrice, diplômée en animation à la HFF “Konrad Wolf”, aimait lire enfant et rêvait d’adapter pendant sa formation.
Avec son film de fin d’études, elle concrétise cette idée chère tout en s’autorisant une réelle liberté. L’histoire de Lagerlöf n’était qu’écrite, Steinmetz la fait gagner en intensité de différentes manières. Au niveau visuel déjà, plusieurs trouvailles bien amenées déjouent nos attentes de spectateurs blasés : le graphisme, épuré, est sidérant, les visages et les corps des personnages sont médiévaux à souhait, les icônes religieuses délaissent les églises et les manuels le temps d’un film, les reproches deviennent typographies et indécollables, à l’image d’un point d’interrogation refusant de quitter le pied de la femme.
Vers la fin du récit et du film, l’homme retrouve son enfant naturel qui se met à lui raconter la vie qu’il a vécue. Ses expériences sont semblables à celles de l’enfant troll : le dédain et les tentatives d’assassinat du père, le secours de la mère, la proximité avec le feu. Pour illustrer cette similarité, Maria Steinmetz crée une construction en miroir, sur deux niveaux, accompagnant l’évolution du temps par un travelling latéral. Par la même occasion, elle nous renvoie au fait que malgré nos différences, nous sommes tous les mêmes. Et puis, son histoire reprend le dessus. Comme il s’agit d’un conte, tout rentre dans l’ordre et les familles se recomposent. Tout est bien qui finit bien, merci pour votre attention, au revoir et à la prochaine. Minute, papillon. L’espace d’un film, un sujet original, un esthétisme différent et un plaidoyer pour l’amour, la tolérance et la différence se donnent la main. On en redemande tant on est sous le charme.