« It was on earth that I knew joy » est un titre qui interpelle. L’évocation d’un film qui éveille la curiosité sans doute car lorsque l’on apprend son existence, il n’est pas encore visible, mais également parce qu’il est présenté comme un hommage à « La Jetée » de Chris Marker. Il n’en aura pas fallu plus pour se saisir de l’agenda. Une date de diffusion annoncée : 9 mars 2011, un site internet : Fubiz, le rendez-vous était pris !
Prenons un réalisateur trentenaire tout droit sorti de la prestigieuse Fémis (Jean-Baptiste de Laubier), auquel nous aurons le soin d’ajouter une référence cinématographique illustre (« La Jetée » de Chris Marker), et des images d’illustration du film lumineuses qui présagent d’une belle photographie (visibles sur le site du producteur et sur la page Facebook dédiée au film). Voilà des bases artistiques rassurantes pour un projet de court métrage.
Ajoutons à cela, une production maline, non spécialisée en cinéma mais plutôt en culture urbaine au sens large, qui a le vent en poupe (Sixpack France à ne pas confondre avec la société de distribution autrichienne Sixpackfilm). La touche finale vient avec la mise en place de la diffusion en exclusivité sur un site internet. Un Buzz organisé en quelque sorte…
Jean-Baptiste de Laubier pose rapidement le décor : l’hommage ouvert. On retrouve de façon tout à fait explicite de nombreuses références à « La Jetée » : un récitant, une fin du monde, un lexique même… Pourtant, le réalisateur propose également, et c’est ce qui fait surtout l’intérêt du film en terme de création, un travail sur le souvenir et sur l’image de l’enfance.
Il s’extrait alors un peu de son hommage à Marker en proposant une vision personnelle du souvenir. Il ne s’engouffre pas dans l’interprétation fade du film, et propose une re-création ancrée dans un cinéma très actuel voire un peu trop clippesque mais dotée d’un travail visuel assez fascinant. Il filme des images de différents espaces du globe qu’il monte dans un rythme effréné où le temps n’a plus de sens. Ces sortes d’hallucinations » visuelles font sens quand elles sont données comme les symboles de la forme que peuvent prendre les souvenirs humains, un peu flous, muables…
De Laubier réussit à donner de la fragilité à ce qu’il met en image. Les hommes que l’on voit à l’écran sont filmés tels des fantômes tantôt en contre jour, tantôt flous ou encore voilés. Ils perdent leurs contours comme on perd la mémoire des visages au fil du temps. Rien ne semble prêt à être fixé éternellement dans une mémoire si celle-ci est humaine.
Face à cette fragilité sensible, il oppose dans sa mise en scène, la froideur d’un matériel technique d’enregistrement volontairement désuet. En effet, le film est sensé proposer une action en 2090 après la disparition de la vie humaine sur terre. De Laubier a pris le parti de mettre en scène un dialogue entre deux « personnages robotiques » : un magnétophone à bandes et l’objectif d’une caméra dotés de la parole. Ces objets, très ancrés dans la réalité des années 2010, semblent évidemment anachroniques dans une vision du futur de 2090. Ce choix un peu déroutant fait sans doute partie de l’hommage mais décale également le récit dans un fantasme de science-fiction à l’ancienne. De Laubier ne cherche pas la crédibilité du récit, son propos est au-delà, plus universel.
« It was on earth that I knew joy » ne restera peut être pas gravé dans l’histoire du cinéma, mais le film propose une interprétation moderne de la place de l’humanité dans un environnement imprévisible et fragile. Le réalisateur réussit dans ce film d’anticipation à captiver sur la durée le spectateur grâce à une atmosphère qui oscille entre l’onirique et le cauchemardesque.