Anima, le Festival d’animation, c’est merveilleux. Bien sûr, il y a les films qui permettent de s’enchanter, de voyager, de s’envoler loin très loin de la réalité morose et grisâtre du quotidien ronronnant de notre pauvre condition humaine…. Mais Anima, ce sont aussi des réalisateurs venus du monde entier pour nous faire partager un peu de leur univers et de leur magie.
Contrairement à beaucoup d’autres festivals de cinéma, où l’apparence prime sur l’essence, les professionnels de l’animation se distinguent bien souvent des autres par leur humilité et leur candeur. Pour être animateur, c’est clair, il faut une bonne dose de patience, beaucoup d’amour, et des tonnes de sincérité. On le sait, un film d’animation est un travail de Titan qui ne bénéficie pas de la même visibilité que le film de fiction. Pas de « people » en animation, mais des hommes et des femmes investis dans la création, des conquérants à l’âme d’enfant.
Les grands, les plus grands viennent donc à Anima, sans fards ni paillettes, accordant généreusement leur temps si précieux aux spectateurs.
Autour de la table, dans un nouveau resto bruxellois bondé, le papa de « Harpya », Raoul Servais et celui de « Kirikou », Michel Ocelot, se retrouvent pour déjeuner. Le premier, poursuit depuis plus de cinquante ans, son petit bonhomme de chemin, luttant contre vents et marées pour défendre un cinéma indépendant et le plus souvent auto produit. Le second, au contraire, compose avec les grands studios de production et les distributeurs du monde entier. À leur manière toute personnelle, ils se sont imposés dans le monde de l’animation avec la même noblesse et une intégrité sans faille, et chacun éprouve un respect admiratif pour le travail de l’autre.
« Azur et Asmar », c’est tellement beau, que je n’arrivais plus à suivre l’histoire. J’étais trop absorbé par les décors et les personnages », avoue le réalisateur belge à son confrère français. Pas question ici de discours théoriques sur les techniques, de propos alambiqués de professionnels : ce qui prime, c’est bien l’émotion, un point c’est tout !
Ils échangent leur sensation, parlent cuisine, se retrouvent sur leur amour pour le chocolat et discutent cinéma. Alors que Raoul Servais, curieux et boulimique, a déjà vu en salles tous les films récents, Michel Ocelot, lui, reste sur ses gardes : « Je ne vais plus au cinéma. J’y souffre trop. » De la souffrance à « Bambi », il n’y a qu’un pas, et les voilà qui embrayent sur les histoires qui font pleurer les enfants, et les films de Walt Disney. « Mon préféré, je crois que ça reste « Pinocchio» », confie Raoul à Michel, « Moi, c’est sans hésitation « La belle au bois dormant… » répond Michel à Raoul.
Il faut dire qu’en matière de princesses, Michel Ocelot s’y entend. Pour preuve, après « Princes et Princesses », il signe « Les Contes de la nuit », son dernier né, qui sortira en France en juillet, seul film français sélectionné lors de la dernière Berlinale. Le réalisateur y a associé le film en silhouettes découpées, inspiré du théâtre d’ombres, avec la technique actuelle de la 3D : « C’est fou que ce film ait été sélectionné à Berlin. Moi, je continue juste à faire mes petites histoires, mes petits contes, comme avec « Princes et Princesses ». J’ai laissé mes ciseaux et mon papier au profit de l’ordinateur, et bizarrement, ça ne fait pas vraiment gagner du temps. Par contre, ça permet des décors fous. C’est une orgie de couleurs, ce film ! » Et au vu de l’affiche qu’il a entièrement réalisée, cela en met en effet plein la vue.
Et ce film, va-t-il nous faire pleurer ? « On ne sait jamais quand on écrit une histoire si elle va faire pleurer. Ce qui est sûr, c’est que dans mes films, ce sont toujours les adultes qui pleurent, jamais les enfants ! »
Mais il est temps de se quitter déjà… car le train pour Paris attend. Michel Ocelot se promet de revenir dans cette ville qu’il aime. « Quand je viens ici, il faut que j’aille voir la Grand Place, c’est vraiment un endroit particulier. Bruxelles aussi, avec ses petits détails Art Nouveau ». L’allusion à l’art nouveau lui évoque immédiatement les dessins d’Aubrey Beardsley qu’il admire… les volutes noires et blanches de l’illustrateur britannique s’échappent, arabesques précieuses et irrévérencieuses au-dessus des toits… Décidément, la compagnie d’animateurs transforme le décor… en mieux, beaucoup mieux !