Depuis « Muto », le graffeur Blu s’est fait une place de choix dans le paysage du court métrage d’animation international. Cette année, son film « Big Bang Big Boom » était en compétition labo à Clermont-Ferrand où il vient de remporter le Prix du Public. Vivant toujours plus dans l’esprit du graff que du cinéma, Blu souhaite conserver un certain anonymat. C’est donc avec son compositeur attitré, Andrea Martignoni, que cette interview a été réalisée.
Pour « Big Bang Big Boom », Blu a, comme à son habitude, fait beaucoup de choses seul (repérages des sites, prises de vue, réalisation des dessins…). Un des seuls postes qu’il délègue est le son. Comment est née cette collaboration entre vous ?
En fait, on s’est connus car on présentait tous les deux des travaux d’animation chez des amis qui ont une librairie et qui organisent des évènements culturels. On a fait connaissance là-bas et il m’a proposé de faire une trame sonore sans avoir vraiment de film à proposer. J’ai un peu arrangé des choses que j’avais déjà dans mon ordinateur, des musiques, des percussions, des sons d’ambiances… J’ai tout monté dans la nuit et je lui ai donné deux minutes trente de trame sonore le lendemain. Il m’a juste dit : “Mais c’est quoi ça ? Vous travaillez très vite”. Et puis, après quelques semaines, il a fait un film qui s’appelle « Fino » pour lequel, à l’époque, il ne travaillait pas encore l’animation de graff sur les murs.
Quelle était la technique utilisée ?
C’était du dessin sur papier et sur ordinateur. C’est un film très intéressant, très court et très joli selon moi. Il montre déjà sa capacité à jouer avec les dessins et son potentiel pour animer. Il sait jouer avec le mouvement. C’est la chose la plus importante en animation, plus que la qualité des dessins.
Depuis cette première collaboration, vous avez travaillé sur chacun de ses films ?
Après « Fino », il est allé de nouveau en Argentine pour tourner un documentaire qui s’appelle Megunica. A ce moment là, il avait commencé à faire une petite boucle d’images animées de quelques secondes sur un mur de Buenos Aires. Il me l’a montrée. J’étais complètement hébété, ravi, bouleversé… Je lui ai dit : « Tu vas devoir continuer à faire ça maintenant! ». Je fais de l’animation depuis longtemps et je n’avais jamais vu une chose semblable.
Il a poursuivi avec des petits travaux en boucle, notamment pendant le festival Fantoche et aussi à Berlin et à New York. Après ça, il lui restait un peu d’argent du documentaire. Il a alors décidé d’acheter un billet d’avion pour Buenos Aires pour aller faire « Muto ».
Là, il m’a demandé de faire la trame sonore. Quand il a terminé le film, j’ai commencé à travailler, après ça, il a fait Combo avec David Ellis et son compositeur. «Big Bang Big Boom », c’est le dernier travail en date. Pour ce film, on a travaillé un peu comme pour « Muto ». J’ai vu les choses au fur et à mesure qu’il les faisait. On s’est souvent croisés pour discuter du film.
Dans le film, on est au-delà de la simple illustration sonore. Le son donne ici du sens à l’image. Avez-vous travaillé ensemble tout au long du projet ?
Il m’avait dit avant « Muto » qu’il voulait une trame sonore qui aide le déroulement du film. Comme « Muto » n’était pas vraiment narratif, il voulait avoir quelque chose qui accompagnait beaucoup l’image. J’ai travaillé de la même façon pour « Big Bang Big Boom » car je pense que quand on travaille sur la durée avec un réalisateur, la trame sonore doit se construire également dans une certaine continuité. Et finalement le premier son qu’on entend dans « Big Bang Big Boom », c’est le dernier son de « Muto ». A l’identique, il y a plusieurs rappels sonores et visuels dans le film.
Comment naît un projet dans la tête de Blu ? Part-il plutôt du graff, de la trame narrative ou d’un lieu?
C’est un peu les trois choses à la fois, mais il y a une différence entre « Muto » et « Big Bang Big Boom ». Avec ce film, il est parti de la question de l’évolution pour arriver à la fin du monde et à l’homme guerrier.
En parallèle, il fait des dessins et cherche des murs. Pour « Big Bang Big Boom », il a travaillé dans plusieurs villes, il profitait d’invitations sur des festivals pour trouver de nouveaux lieux. Cela s’est par exemple produit pour la scène du pont : l’endroit l’a beaucoup inspiré. C’est aussi l’un des rares moments où ce n’est pas lui qui prend la photo car techniquement il était nécessaire que l’image soit prise d’un bateau pendant qu’il faisait le dessin.
Dans les films de Blu, on est souvent dans l’espace public. Comment fait-il pour peindre ? Demande-t-il des autorisations ?
La plupart du temps, il ne demande pas la permission. Quand il s’agit d’une commande, d’un festival par exemple, c’est bien entendu différent. De toutes façons, Blu travaille très vite, généralement les gens n’ont pas vraiment le temps de voir ce qui se passe. Et puis, il choisit des endroits où il ne va pas avoir trop de problème, sinon il s’en va.
Dans « Big Bang Big Boom », c’est la première fois qu’il joue avec les personnages réels. On voit par exemple furtivement une passante « soufflée » par un dinosaure dans son film. Va-t-il développer l’animation de personnages réels ?
C’était à Buenos Aires. Il a demandé à une amie danseuse de faire cette séquence. C’est assez drôle, l’interaction entre le monde réel et les graffs animés. Il est vrai que ces incursions du réel sont plus développées dans « Big Bang Big Boom » que dans « Muto » mais je ne sais pas s’il va continuer.
On sent qu’il joue aussi un peu plus avec les codes du cinéma…
Il travaille très bien sur l’animation mais il a une façon de travailler différente d’un point de vue artistique. Il fait du cinéma mais il n’est pas cinéaste.
Du point de vue de la diffusion, on n’est pas non plus dans un cheminement classique. Contrairement aux cinéastes classiques qui, en général, apprécient et souhaitent une large diffusion en salle, Blu exige une diffusion prioritaire sur le web. Pourquoi une telle volonté ?
Cela me semble assez normal car il fait du street art. Dans ce milieu, le principe est que tous ceux qui passent à côté de l’oeuvre la voit. Internet, c’est comme une grande métropole où tu peux rendre publique ton œuvre. Blu est vraiment préoccupé par la diffusion. Quand le film est terminé, la première chose à faire est que le film soit visible sur Internet.
Par exemple, pour « Big Bang Big Boom », le film était terminé à la fin du mois de juin. Je voulais l’envoyer à Postdam en juillet.. Le festival a accepté le film sans le voir car Blu ne voulait pas que j’envoie le dvd avant que le film ait pu être mis en ligne. Il n’a pas besoin d’une vitrine en festival car il a une visibilité très large sur Internet. Ses films ont un effet viral. « Muto » a été vu par huit millions d’internautes.
Des projets ?
On a parlé de quelque chose à mon retour à Bologne. Mais il est un peu fatigué après un an de travail sur « Big Bang Big Boom ». Ca lui a pris beaucoup de temps et d’énergie pour tourner dans les lieux qui l’intéressaient.
Qui est Blu ?
Un grand artiste.
Propos recueillis par Fanny Barrot
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