Parti d’Angers il y a quelques jours et arrivé à Clermont-Ferrand il y a peu, « Unfinished Italy » transporte un étonnant contenu : ruines, restes, jeunes vestiges, manque, vide, passé récent, peur(s). Le temps d’un film de fin d’études, son auteur, Benoît Felici, traverse la Sicile sauvage, s’arrête dans les cafés comme sur les ponts, dialogue avec le regard, enregistre les lieux sans histoires et les histoires sans lieux. Sa carte postale de l’Italie ne s’envoie pas, elle se voit, et puisque c’est d’authenticité dont il s’agit, notre entretien ne peut prendre ses aises que dans un lieu typique, au nom imprononçable et tendancieux.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans l’idée de filmer des gens, la vie ?
J’adore observer les gens, j’ai toujours fait ça. Depuis que je suis tout petit, j’aime bien regarder et imiter les gens. Ce qui m’a amené vers le documentaire, c’est le côté surréel de la réalité, le côté fascinant de certains personnages qui sont encore plus beaux et forts par le fait qu’ils sont naturels. Je trouve qu’il y a une véritable richesse chez certaines personnes que j’aime puiser, chercher, modeler, ça ne veut pas dire pour autant que je joue avec eux, que je les dirige. C’est une espèce de jeu qui a d’ailleurs beaucoup à voir avec la séduction, l’approche. En réalité, ce qui me plaît beaucoup dans le documentaire, c’est que le réalisateur se met beaucoup en scène. Moi-même, je joue un personnage quand je mets en scène un moment à filmer.
Tu n’es pas obligé de le faire.
Non, mais tu dois créer une tension, savoir approcher les gens pour obtenir une intensité dans le regard, un rythme, une cadence selon ce que tu recherches pour ton film. Le film, je l’ai écrit mais en fait, il y a eu beaucoup de discussions, d’improvisation. Tu dois pouvoir te poser, voir une situation, improviser, parler deux secondes avec le cameraman pour savoir où on va placer la personne, faire en sorte de la mettre à l’aise et de la rendre la plus vraie possible pour que ce soit réel, sincère, émouvant, et dans certains cas, surréel.
Tu as sillonné la Sicile pendant plusieurs mois avec ton chef op, Bastian Esser. Comment lui as-tu expliqué ce que tu recherchais ?
Au début, c’était assez compliqué. Il ne comprenait pas forcément ce que je voulais, ce qui était absolument normal, moi-même, j’étais en recherche. On a des inspirations, des influences, des origines différentes. Il a dû s’adapter à moi parce qu’il aurait fait un film complètement social, il ne serait resté qu’à un seul endroit si je n’avais pas insisté. Au final, il a compris l’idée que je voulais donner au film. On a passé beaucoup de temps ensemble, il me connait. Un monteur danois, Niels Pagh Andersen, a dit qu’un bon monteur, c’était quelqu’un qui connaissait parfaitement son réalisateur, qui comprenait aisément ce qui se passait dans sa tête. Je pense que pour la caméra, c’est pareil.
Tu es français, d’origine italienne. Est-ce que tu as redoublé de vigilance pour éviter tout cliché sur l’Italie ?
Au bout de trois ans d’études en Italie, j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de travailler avec des italiens. Ce qui m’a toujours marqué, c’est leur ouverture d’esprit, leur gentillesse, leur sympathie. Personnellement, à part mes origines, je pense que c’était un défi de ne pas me planter. Il ne fallait pas que je fasse une interprétation de l’Italie qui n’était pas juste et tolérante : je ne voulais pas d’une Italie critique ou caricaturale. On peut faire une carte postale de l’Italie d’aujourd’hui, mais on ne peut pas en faire une sur les gens.
La plus grande partie de mon travail a été d’observer la Sicile, d’essayer de comprendre les Siciliens, le fonctionnement de la mentalité, d’absorber leur rythme, leur vision des choses. Moi, je ne suis pas vraiment italien, je suis français, mais ma famille me pousse à aimer ce pays. Quand mon père m’achète une voiture, c’est une Fiat, pas une Renaud !
Pourquoi as-tu filmé les choses figées, les lieux un peu morts là-bas et pas ailleurs ?
Je pense que le phénomène est italien parce qu’il y a un système économique qui est tourné autour du ciment, du béton. En revanche, que ce soit l’Italie, ce n’est pas super important. Pourquoi construit-on une piscine olympique dans un village de 10.000 habitants ? Pourquoi bâtit-on un stade de polo – un jeu anglais – dans un village italien ? C’est la question de la surmodernité, d’un pays extrêmement pauvre qui découvre le progrès, qui connait un boom économique dans les années 60, qui se met à construire plus qu’il ne faut, comme une espèce de boulimie. Cette question et ces ruines-là ne sont pas spécifiques à l’Italie, mais à notre époque.
« L’amour existe » de Maurice Pialat m’a beaucoup inspiré pendant le tournage. Le film traite de la construction des tours de banlieue dans les années 60, la voix-off parle à un moment de « ces lieux dont le futur a déjà un passé et dont le présent a un éternel goût d’attente ». Quand j’ai entendu ça, je me suis dit que c’était exactement ce qu’étaient ces lieux.
Tu parles de lieux, mais tu parles beaucoup de toi, de tes manques en off. Pourquoi était-ce important pour toi de t’impliquer par la voix ?
La voix-off a plusieurs raisons d’être. A Zelig (école de documentaire à Bolzano), on nous force à nous impliquer personnellement, à sortir du reportage, de l’investigation. Au moment d’approcher les protagonistes, on est dans le dialogue, on donne du sien, on s’ouvre, on s’implique au maximum, on fait sentir à l’autre qu’on est comme lui. C’est une approche beaucoup plus psychologique, sincère, humaine. Et beaucoup plus simple. A l’école, j’ai entendu que les choses les plus difficiles à faire étaient les plus simples. Un être humain, c’est extrêmement compliqué, mais si on le prend avec sincérité, avec simplicité, ça le rend encore plus beau.
« Unfinished Italy » est ton film de fin d’études. Qu’est-ce que tu as le sentiment d’avoir appris à l’école ?
Zelig est une école hyper familiale. On est tous très proches, les professeurs nous connaissent, nous soutiennent. J’ai appris des choses sur moi, mon oeil s’est formé à certains films, mon point de vue sur le documentaire a changé, et les grandes questions que je me posais sont moins floues qu’avant. Ces questions touchent aux thèmes que j’ai pu travailler au sein de l’école, ceux que j’ai choisis pour faire mes films, et qui étaient en rapport avec le temps, le manque, l’abandon, le vide, les ruines et les restes.
Il y a un moment un peu étrange dans ce film, celui où le berger, seul à ses heures et à ses moutons perdus, vous demande si vous êtes des astronautes qui vont sur la lune. A partir du moment où on est pris à partie, où le sujet a suffisamment fait abstraction de la caméra au point de poser des questions directes, est-ce qu’on se sent désemparé ou on se dit que c’est super pour le film ?
Dans ce genre de moment, je ne réponds pas, mais je suis un peu en transe. Cette phrase n’était pas prévue, il l’a sortie. Tout se passe dans le regard que moi, je lui tiens. C’est ça qui est génial : tu composes avec le protagoniste, tu te concentres sur ce qu’il te dit, tu soutiens son regard. Ce n’est que dans les yeux que ça se passe.
Il n’y a pas un risque de manipulation en jouant ainsi sur le regard ?
Non, c’est là la différence entre le reportage et le documentaire. Il y a un montage, des heures de rushes. Je ne suis pas en train de chercher une info, je suis en train de faire un film. Ce que me raconte le berger, c’est une légende sauf que je le place dans un certain cadre et que je dialogue avec lui. Je ne pense pas que ce soit malhonnête. J’essaye de capter un peu l’aspect poétique d’un lieu, d’une situation, d’une personne. Dans mon école, la plupart des étudiants s’intéressaient au social, aux thèmes sociaux, actuels. « Unfinished Italy » est différent de leurs films.
C’est important d’avoir son style, de se singulariser dans le domaine du documentaire, au-delà du thème, du sujet ?
Plus il y a un auteur derrière un documentaire qui impose son style et son écriture avec son équipe, plus c’est du cinéma.
Dans ce cas, à quel moment sur ce film, as-tu commencé à te dire que tu faisais du cinéma ? Est-ce que ça a eu lieu au fil du voyage, des rencontres, des images ou après, en salle de montage ?
Là où tu te dis que tu fais vraiment du cinéma, c’est quand tu t’es imaginé des plans, des scènes et qu’elles se réalisent ou, mieux encore, qu’elles se réalisent toutes seules. L’un de mes professeurs a coutume de dire que les choses sont déjà là, et c’est vrai. Je ne sais pas pourquoi le berger a dit ça à ce moment-là, mais c’est formidable qu’il l’ait fait car finalement, c’est devenu extrêmement positif pour le film. Ce qui est fascinant dans le documentaire, c’est qu’un énorme problème peut devenir une chance incroyable. C’est pour ça d’ailleurs que je pense que le documentaire est vraiment du cinéma : il y a une vraie création dans l’équipe, dans l’écriture et dans les événements.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film
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« Unfinished Italy » est programmé au Festival de Clermont-Ferrand dans le cadre du programme I13
buono, bravo Benoît!
Non bisogna dimenticare che il film è nato muto e che ha avuto successo.
La prima cosa che conta sono evidentemente le immagini e la struttura tra le immagini e poi viene il suono, la voce. L’accompagnamento.
Come italiano sensibile alla storia ho apprezzato la tranquillità e, bisogna dirlo, lo spettacolo.
Grazie buon lavoro.