Connu pour le mouvement Dogme 95, un film devenu culte, Festen, et son amitié avec Lars von Trier, Thomas Vinterberg était récemment président du jury du deuxième festival européen des Arcs. Fort sollicité et contraint par un planning chargé, le plus jeune étudiant de la Danske Film School en son temps était bel et bien la star des montagnes. Moment volé avec le petit génie danois.
A 16 ans, Vinterberg voulait être connu et devenir une rock star (25 ans plus tard, il en a d’ailleurs toujours le look). Il joue de la guitare avec un copain mais abandonne l’idée de la scène au profit d’un court métrage qu’il laisse inachevé. Quelques années plus tard, il tente la Danske Film School, un lieu d’apprentissage paraît-il formidable qui produit beaucoup de films. Pourquoi choisit-il cette école et pas une autre ? « Quand je me suis inscrit à l’école du Danemark, j’avais 19 ans et j’ignorais tout du cinéma. Je savais que c’était une formation très respectée dans le milieu et qu’elle avait un très bon niveau. A l’époque, j’avais fort apprécié certains des films qui y ont été réalisés. La Danske Film School a fondé la manière danoise de penser le cinéma qui consiste à utiliser les contraintes comme source principale d’inspiration. C’est sans doute pour cela, je pense, que certains courts métrages de cette école sont les films les plus forts que j’aie jamais vus. C’est parce qu’on est limité dans le temps, qu’il faut créer un impact à l’intérieur du cadre dans une durée de 30 a 40 minutes par exemple. J’ai tout appris dans cette école. »
La question de la limite est intéressante quand on sait à quel point le Dogme, le manifeste qu’il a mis en place en 95 avec Lars von Trier et qu’il a abandonné dix ans plus tard, prendra ce mot en considération. En son temps, le Dogme réclamait un tournage en décor et lumière naturels, une caméra au poing ou à l’épaule, un refus des artifices, des effets spéciaux et des produits standards, un format en 35 mm, et un cinéma plus proche du réel que de la fiction.
D’où vient d’ailleurs la remise en question des règles et l’intérêt de Vinterberg pour la limite ? Réponse de l’intéressé : « Tout ce qui s’est fait au Danemark pendant les années 90 concernait la limite. Le Dogme traitait de la limite, et Jorgen Leth, notre plus grand documentariste, aussi. Ce qu’il fait est en quelque sorte ce que fait un peintre : il choisit trois ou quatre couleurs et à partir de là, il met en place un minimum de règles et ironiquement jouit d’une grande liberté d’action. C’est ce que j’ai appris de l’école et j’ai construit tout ce que j’ai fait depuis autour de cette manière de penser. »
Pendant ses études, Vinterberg réalise un premier film pas mal remarqué dans les festivals et nominé aux Oscars, Dernier Tour qu’il considère comme son meilleur film et un deuxième, son film de fin d’études, Le garçon qui marchait à reculons, qui a eu le mérite d’arracher les larmes des spectateurs de Clermont-Ferrand et de Brest où il a remporté les prix du public respectifs. Certains s’en souviennent encore et en parlent volontiers avec émotion et plaisir dans les brasseries parisiennes. Les deux films abordent la séparation, le premier entre un homme et une ville, le second entre deux frères. Pour l’anecdote, au moment de Dernier Tour, Vinterberg cherche à s’extraire des contraintes de l’école en faisant un film avec peu de moyens et repense son scénario quinze jours avant le tournage. Il confie le cadre de son film à un type doué en taï chi pour être au plus près de ses comédiens, caméra à l’épaule. En voyant le film, von Trier appelle Vinterberg et lui demande comment il a fait. Les poussières du Dogme s’installent petit à petit.
Pour le deuxième film, une autre astuce apparaît : « Ecrire Le garçon a été très difficile parce que je voulais écrire une histoire a propos de rituels et d’obsessions sauf que je ne savais pas comment la raconter. Je voulais également faire un film sur l’adieu, la mort et la séparation. Une semaine seulement avant de rendre le scénario, j’ai trouvé le moyen de combiner toutes ces idées. Les pensées de ce garçon sont remplies de rituels comme lorsque vous commencez à faire un film sur la base de certaines règles. » En ces temps là, Vinterberg dirige des jeunes comédiens danois. Plus tard, pendant sa période américaine, il tournera avec Joaquin Phoenix, Claire Danes et Sean Penn (It’s All About Love) et Jamie Bell et Bill Pullman (Dear Wendy). En arrivant sur un plateau, il refuse les choses figées. Ce qui l’intéresse, c’est que ses comédiens soient tangibles et qu’en travaillant avec eux, il crée de la vie et parvienne à mettre de la folie dans leurs yeux. Cela, il l’a appris sur ses courts.
Interview réalisée par Katia Bayer
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