Le mystère de Pierre

Pour parler de Pierre Etaix, peut-être faut-il (ré)introduire le personnage lui-même. Pierre Etaix s’inspire et inspire. Clown, comique visuel, il a joué ou est apparu dans les films des autres (« Pickpocket » de Bresson, « Les clowns » de Fellini, « Max mon amour » d’Oshima, …) et dans les siens, travaillé avec Jacques Tati (il a dessiné, a créé des gags et été assistant-réalisateur sur « Mon oncle »), joué avec les sons, et développé un cinéma poétique teinté de burlesque (à moins que ce ne soit l’inverse) dont l’exploitation s’est étonnement interrompue dans les années 1990.

Courant 2010, pourtant, une nouvelle tomba comme une mouche dans la soupe : les films de Pierre Etaix, tout juste restaurés, allaient à nouveau être projetés comme il y a vingt ans. Pendant de nombreuses années, un sombre et complexe bordel juridique avait en effet rendu ses films invisibles et bloqué leur ressortie. Pour voir des Etaix, il fallait emprunter des vieilles K7 vidéo édentées dans les ciné-clubs universitaires ou compter sur les hasards de programmation d’une quelconque cinémathèque.

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Certains connaissent Pierre Etaix, d’autres l’ont découvert récemment : ses films sont sortis en salle cet été et en DVD cet automne. Au cinéma, les longs (« Le Soupirant », « Le Grand Amour », « Yoyo », « Pays de Cocagne », « Tant qu’on a la santé ») étaient précédés d’un court ( « Rupture », « Heureux anniversaire », « En pleine forme ») également repris dans le coffret consacré au dernier représentant vivant de l’humour burlesque.

Depuis l’annonce de son grand retour, Etaix a enchaîné les rendez-vous publics, les séances spéciales et les interviews. La presse a beaucoup évoqué l’imbroglio juridique, le lien spécifique du réalisateur avec le cirque et les planches, le charme de ses longs métrages, la collaboration avec Jean-Claude Carrière, son co-scéariste, et celle avec Jacques Tati. Elle a par contre moins parlé des courts d’Etaix, précurseurs de son style absolument propre.

Ce que l’on sait moins au sujet d’Etaix, c’est que sa filmographie compte en réalité plus que trois courts. Sur le tournage de « Mon oncle », Etaix rencontra Louis Dolivet, producteur à la Gray Film, qui l’incita à se mettre à la réalisation d’un court métrage. Cela déboucha sur « Le petit citoyen », un essai qui ne fut jamais montré. Par la suite, Etaix entama une collaboration avec Jean-Claude Carrière dans un film en 8 mm auquel il donna le même titre et dont les gags allaient influencer son premier long métrage « Le Soupirant ».

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À l’époque, Etaix n’arrivait pas à convaincre le producteur Paul Claudon de financer « Le Soupirant » malgré les prix glanés par ses deux premiers courts, « Rupture », lauréat du Prix FIPRESCI à Mannheim et Grand Prix du Festival Oberhausen, et « Heureux anniversaire », Grand Prix du Festival Oberhausen, Meilleur court au British Film Academy de Londres et Oscar du meilleur court métrage à Hollywood en 63. Comme quoi, les honneurs et les statuettes ne garantissent pas toujours l’accès au cinéma long.

Pour poursuivre sur sa lancée, Etaix imagina alors son film comme une succession de séquences, de courts même, qui aboutit finalement à un format long pour faciliter le montage financier du film. Par la suite, Etaix extraira même une séquence de « Tant qu’on a la Santé », un autre long, qui deviendra un court à part entière, « En pleine forme », et qui figurera dans les films restaurés et ressortis en 2010. Là aussi, une scène, coupée au demeurant, représenta un court.

 

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Bien plus tard, en 78, après avoir fait plusieurs longs, Etaix revint à la forme courte avec « Reprise », un pilote réalisé pour la télévision qui ne trouva pas acquéreur. Et dix ans plus tard, il tourna en images de synthèse « Rêve d’artiste, ou le cauchemar de Méliès » pour la Sept (pré-Arte) pour une soirée thématique sur le magicien des premiers temps, Georges Méliès.

Etaix aura donc réalisé six courts métrages, or les ressorties officielles n’en ont mis que trois en avant : « Rupture », « Heureux anniversaire », et « En pleine forme ». A y regarder de plus près, la commande pour la Sept réalisée en hommage à Méliès figure quand même sur le coffret Arte. Cela n’explique pas pour autant ce que sont devenus ses deux autres courts, « Le petit citoyen » et « Reprise ». Sont-ils perdus, invisibles, oubliés, inmontrables ? Mystère et boule de pomme.

Katia Bayer

« L’intégrale Pierre Etaix » : coffret 5 DVD – Éditions Arte Vidéo

Consulter les fiches techniques de « Rupture », « Heureux anniversaire », et « En pleine forme »

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