Après s’être baladé il y a un mois du côté de 6nema.com, le virtuel s’est pris au goût des films en ligne. Du côté de chez Arte, la chaîne culturelle européenne, quelques courts restent visibles au-delà de leur date de diffusion, que ce soit dans le magazine « Court-circuit », dans la collection « Caméra de poche » ou dans la série « 10 courts contre le sida ».
À ARTE, le court métrage s’active dans une case hebdomadaire définie en soirée (le mercredi, à 0h25). Regards originaux, œuvres internationales et vidéos de jeunesse : l’émission « Court-circuit » s’est offert de l’éclectique à souhait pendant treize ans. Depuis plus de trois ans, la chaîne va plus loin : « Court-circuit OFF » occupe le Net en guise de complémentarité à l’antenne et d’interactivité avec le téléspectateur. Quelques uns de ces points de vue particuliers, personnels et originaux, d’auteurs français comme étrangers, restent même en ligne, accessibles librement à la consultation de ceux qui auraient raté leurs passages télévisés. L’info est de taille quand on connaît la difficulté de trouver des bons films courts en accès libre et en bonne qualité. Plus besoin donc de veiller tard pour voir ses titres favoris.
El Empleo de Santiago Grasso
Lauréat du Prix Fipresci en 2009, « El Empleo », de Santiago Grasso, est le tout premier film argentin primé à Annecy, depuis la création du Festival. Révélation de cette édition, il mêle subtilement passivité du quotidien, individus-objets, et sobriété du dessin.
Tic, tac, tic, tac. 7h15. L’homme à la tête en forme d’index se réveille, se gratte, et sort de son lit. Il se rase, avale un biscuit et un café, renoue sa cravate, hèle un taxi pour rejoindre le bureau. Une fois arrivé, il attrape de justesse l’ascenseur, et dépose ses affaires dans son casier, avant de se mettre au travail. Une nouvelle journée commence.
Dépourvu de tout dialogue, « El Empleo » est un film éloquent, à plus d’un titre. Le décalage surgit devant la représentation d’un univers incongru dans lequel les individus sont relégués au rang et à l’usage d’objets. Dans ce monde, chacun travaille, quelque soit la fonction à accomplir et l’effacement de soi à accepter. Sans distinction, hommes et femmes sont au service les uns des autres, faisant office de meubles, de porte-manteaux, de porte-clés, de feux de signalisation, de transports, ou même de contre-poids d’ascenseurs.
Le film interpelle par sa problématique universelle. Entre critique sociétale et humour raffiné, « El Empleo » livre un regard différent et original sur les notions de travail, de monde en crise, et d’exploitation de l’homme par l’homme. Pour servir sa mécanique domestiquée, Santiago Grasso fait appel à un humour fin et absurde, proche de Ionesco, et à un dessin simple et dépouillé, incrusté de regards vides, sans âme ni espoir.
L’intelligence d’« El Empleo » tient aussi et surtout à sa chute touchante. “M. Index” s’installe à son poste, celui d’homme-paillasson, sous les ordres et les pieds de son patron. À la différence de ses congénères, il sort de son silence et de sa passivité, en poussant un soupir à peine audible. L’humanité s’exprime. Malgré tout.
Les fruits de mer de Brigitte Sy
Titre : Silence=mortes. Sous-titre : 10 films pour les 20 ans d’Act Up. Présenté cette année au festival de Pantin et multi-diffusé sur Arte, « Les fruits de mer » est l’un des dix films articulés autour de témoignages de femmes confrontées au virus du sida.
« Tu parles en ton nom, je parle en mon nom. L’important, c’est que ce soit une histoire personnelle ». À gauche, Catherine, ancienne travailleuse dans la mode, aujourd’hui militante d’Act Up. À droite, Brigitte, actrice, réalisatrice de courts et de longs métrages.
À mille lieux d’un témoignage télévisé obscène/racoleur sur le sida, ce documentaire criant de vérité, tourné au restaurant autour d’un plateau de fruits de mer, met en scène deux femmes que tout pourrait opposer mais qui sont reliées par le hasard d’un virus commun. Comme deux copines, elles parlent en mangeant, enchaînent les verres (« je ne peux pas parler de ça au monde entier sans picoler » dit Brigitte) et osent avancer les mots là où le tabou et la honte encerclent encore le sujet. Parler, rire, dénoncer la lâcheté des hommes les ayant infectées, ironiser sur le nom des médicaments, attraper un bout de pain, gober une huitre, cela se fait comme si la caméra n’existait pas. Et pourtant, Brigitte Sy réalise avec « Les fruits de mer » un documentaire des plus touchants et – forcément – des plus personnels. Pour la première fois, elle évoque ce qui fait partie d’elle et parle du film comme une délivrance. Pour le spectateur, c’est une décharge, une émotion, un apprentissage. On peut rire du sida.
O’Moro d’Eva Offrédo et Christophe Calissoni
On peut aimer un film pour un caleçon envahi de Ti Amo, pour la bêtise d’un carabinier en chef, pour une musique gaie et envoûtante, pour un univers coloré ou pour un désir de liberté. À Lille comme à Angers, « O’Moro » nous a tapé dans l’œil, il rejoint enfin les autres films référencés sur le site.
Partagé entre son devoir et ses racines, un carabinier maure entame sa journée quotidienne à Naples aux côtés de son supérieur dans le but de traquer les brigands du coin lorsqu’il est contraint d’arrêter une gitane accusée de vol. La belle s’étant envolée comme par miracle, O’Moro subit les foudres de son collègue et se retrouve rétrogradé à la fonction de simple agent de la circulation. Suite à cette rencontre fortuite, O’Moro commence à redéfinir ses priorités et à relativiser son existence.
Réalisé en duo, « O’Moro » se laisse apprécier comme un théâtre de pantins gesticulants, où un air de fête nous invite à entrer et où les vieux rêves enfouis nous récupèrent à la sortie. Bravo à Eva Offrédo et Christophe Calissoni : leur film est lumineux.
Mes années bavaroises de Yves Jeuland
L’une des cinq vidéos tournées sur téléphone portable autour du thème « Les années 80 » se nomme « Mes années bavaroises ». Yves Jeuland, son auteur, raconte sous la forme d’un journal intime ses souvenirs de jeunesse d’il y a trente ans. Muni de son téléphone, il filme les retrouvailles de ses correspondants allemands et français en 2008.
Les années 80. En y réfléchissant, les autres réalisateurs de cette série fictionnalisent des événements ayant fait parler d’eux (la catastrophe de Tchernobyl, la disparition du général Pinochet, l’abolition de la peine de mort en France ou encore le succès planant de Plastic Bertrand). À l’inverse, Yves Jeuland prend comme point de départ une histoire n’ayant pas fait les gros titres des journaux car c’est la sienne. « Mes années bavaroises » est une réflexion sur le temps qui passe, un bilan sur le moment présent, et un questionnement sur la vieillesse, la valeur de l’amitié et du passé. Des années bavaroises ? Peut-être. Une interrogation à haute voix sur une certaine époque, captée dans la mémoire de toute une génération et d’un outil de communication, à coup sûr.
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