Découvert et aimé au détour d’un rendez-vous parolier à Pantin, « J’ai faim, j’ai froid » de Chantal Akerman est issu du film à sketches « Paris vu par…20 ans après ». Extrêmement libre de ton, cette chronique en noir et blanc, réalisée en 1984 par l’auteur de « Jeanne Dilman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles », s’intéresse de près à deux filles paumées cherchant à troquer Bruxelles contre Paris.
En 1965, sortait en salle « Paris vu par… » réunissant six courts de Jean Douchet, Jean Rouch, Jean-Daniel Pollet, Éric Rohmer, Jean-Luc Godard et Claude Chabrol. Six quartiers de Paris y étaient filmés, six réalisateurs de la Nouvelle Vague utilisaient le court comme moyen d’expression. Deux décennies plus tard, Bernard Dubois, Philippe Garrel, Frédéric Mitterand, Vincent Nordon, Philippe Vernault, et Chantal Akerman récupérèrent le concept en imaginant six nouvelles vignettes sur la capitale de la France. Le projet s’intitule « Paris vu par…20 ans après » et « J’ai faim, j’ai froid » en fait partie.
Que dissimule ce très beau titre ? L’histoire de deux fugueuses de 17 ans débarquant à Paris car elles « étouffaient à Bruxelles ». Insouciantes, vives, et sans le sou, elles ont envie de tomber amoureuses (après tout, Paris n’est-elle pas la ville de l’amour ?). En attendant de dégoter deux beaux garçons (un pour chacune, c’est plus pratique), elles ont faim, elles ont froid. Trouvant que le café et les tartines n’ont pas le même goût que chez elles, elles s’interrogent sur le meilleur moyen de gagner leur vie. Comme quoi, à Paris, il y a de la vie (ce n’est pas comme l’étouffement bruxellois).
Pour donner corps à ses héroïnes, la réalisatrice a choisi deux filles géniales, Maria de Medeiros et Pascal Salkin. Formidablement dirigées, elles passent leur temps à bouffer, à se foutre des conventions sociales, à scruter avec leurs grands yeux ce qui les entoure, à arpenter les rues avec la légéreté de la jeunesse, et à échanger avec nonchalance des mièvreries sur un joli mot – l’amour. En 1984, Chantal A. a déjà réalisé quelques films, mais avec celui-ci, elle prouve – s’il fallait encore en douter – qu’elle est une grande cinéaste.