Depuis plus d’un an, Frédéric Boyer est le nouveau délégué général de la Quinzaine des réalisateurs. Successeur d’Olivier Père parti pour Locarno, il continue de s’intéresser au court métrage malgré ses nouvelles fonctions. CQFD en quelques réponses.
La Quinzaine des réalisateurs programme des séances de courts et de moyens métrages à la fin du festival. Pourquoi en montrer alors que Cannes a pour vocation d’être un festival de longs ?
Je ne sais pas. Pour moi, ce sont des films à part entière. J’adore le court, mais c’est là où le visionnage est le plus pénible, on y voit vraiment des choses pas possibles. Ce n’est pas parce que les caméras numériques sont arrivées qu’il y a eu plus de talents, ça n’a rien changé. Dans la même veine, on pensait qu’il y aurait plein de cinéastes grâce au téléphone portable, mais cela n’a pas été le cas. On se rend compte que le niveau général est assez faible, mais on arrive quand même à resserrer les bons films et à détecter LE metteur en scène de chaque pays, comme pour le long métrage.
Depuis cette année, on essaye de ne présenter que des premières mondiales, des films qui ont un univers particulier, des réalisateurs qui n’ont pas un langage sous influence, qui essayent de parler d’eux-mêmes et de leur pays. Pour moi, les cinéastes de courts comme de longs ressemblent à leurs films.
Y a-t-il des gens que vous suivez plus particulièrement que d’autres ? La Quinzaine est-elle fidèle à certains réalisateurs comme par exemple Louis Garrel ?
Je déteste la fidélité, enfin en cinéma. Ça ne m’intéresse pas de reprendre un réalisateur pour la quatrième fois. Je préfère offrir le tampon de la Quinzaine à une nouvelle personne qui vient pour la première fois à Cannes. Concernant Garrel, c’est autre chose : j’aimais bien « Mes copains », son premier film, et je trouve le deuxième, « Petit tailleur », extra.
Vous proposez de mettre en avant des auteurs, mais en court, vous ne soutenez que les jeunes réalisateurs. Pourquoi en court, n’y a-t-il pas une attention égale pour les jeunes et les cinéastes confirmés, à l’image de ce que vous faites dans le long ?
J’adorerais… J’adorerais qu’un cinéaste connu fasse un court et qu’il soit tout de suite pris en sélection. Mais ça arrive rarement ou alors, il se retrouver en sélection officielle.
À Cannes, la concurrence pour le long existe-t-elle aussi pour le court ? Y a-t-il des films qui vous échappent à cause des autres sections ?
Oui. Je me suis fixé une règle avec la Semaine de la Critique, avec la bande de trois sélectionneurs de courts dirigée par Bernard Payen. Quand je sais qu’un film est invité à la Semaine, je ne le prends pas Quand une situation pareille a lieu avec la Compétition officielle, là, on ne peut rien faire. Il y a toujours un ou deux films qu’on a repérés et qui sont sélectionnés là-bas.
Est-ce que les courts sont suffisamment mis en évidence à Cannes ?
À Cannes, le court passe toujours à la fin, sauf à la Semaine de la Critique où les courts passent quotidiennement avant les longs. Pour nous, c’est différent : la séance de courts passe à la fin avec les moyens métrages.
Ce qui me désole, c’est qu’il y a un manque de curiosité de la part de la presse à l’égard du court. Je sais bien qu’on est à la fin du festival, mais tout le monde a l’air de s’en foutre, et les courts ne sont jamais chroniqués. Je trouve ça dingue ! En tant que cinéphile, j’ai 25 ans de Cannes derrière moi. Avant de rejoindre la Quinzaine, j’allais voir tous ces films. Je n’étais pas journaliste, mais au moins, je pouvais dire que tel ou tel film roumain ou italien était intéressant.
Comment la sélection des courts se fait-elle par rapport aux longs ? Quels critères vous orientent, vous incitent à vous dire qu’un film a vraiment quelque chose ?
On est tellement pris par les longs que la sélection des courts est la dernière chose qu’on fait. On travaille sur les quinze films qui m’ont été présélectionnés par le comité qui en a vu 1500, pour n’en prendre que sept. On se fait des sessions tous ensemble, c’est crucial qu’on soit au complet pour les visionner, en discuter, les revoir, et les évaluer les uns par rapport aux autres. Dès qu’un réalisateur commence à nous étonner avec quelque chose de différent, ça nous intéresse.
Cette année, pour moi, c’était très important de montrer « Tre Ore » [Annarita Zambrano], un film italien magnifique, très simple, cadré, avec deux acteurs. Si un type filme son père et son petit frère au musée, ça me suffit. Je peux aussi aimer un film pour ses acteurs et ses trois lignes de dialogue. Je ne suis pas spécialement quelqu’un du visuel, j’adore l’imaginaire, le décor, les personnalités, … Le geste peut être très simple. Ce qui m’énerve, c’est quand je sens la lourdeur cinématographique, des plans et des travellings à excès. Moi, ce que je veux, c’est un truc qui soit comme « Shikasha » du japonais Isamu Hirabayashi. Le mec est dans son trip, on aime ou on n’aime pas, mais au moins, il y a quelque chose, un vrai point de vue original.
Le mystère, le point de vue, le regard, donc. Après, la qualité technique, ce n’est pas très important pour moi, mais il faut quand même que le film soit bien monté, qu’on sente les points de coupe, la dynamique, la modestie du réalisateur, sa capacité à ne pas être trop sous l’influence d’autres cinéastes.
Par le passé, vous avez sélectionné des films d’écoles. Pourquoi vous intéressez-vous au travail d’étudiants ?
On est en contact avec les écoles de cinéma, on leur demande qu’elles nous envoient les films de dernière année parce qu’on espère toujours mettre en avant un génie fou. Un nouveau Lars von Trier qui n’aurait jamais été repéré.
Propos recueillis par Katia Bayer
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Article associé : la critique de « Petit tailleur »