Figure de proue dans le paysage visuel israélien, la célèbre école de cinéma « The Sam Spiegel Film & Television school of Jerusalem » a fêté ses 20 ans en 2009. A cette occasion, en octobre dernier, le FIDEC, Festival International des films d’écoles, à Huy (Belgique), la mettait à l’honneur en lui offrant une carte blanche composée de cinq courts d’une rare intensité en même temps qu’elle programmait « Himnon », lauréat du Premier Prix de la Cinéfondation en 2008, également originaire de l’école hiérosolymite.
Diploma, de Yaelle Kayam
Hébron, enclave juive dans une municipalité palestinienne, un soir de Pourim (carnaval juif). Le couvre-feu est imposé à une partie des habitants. Ayat, une jeune étudiante contrainte d’affronter la société qui l’entoure pour affirmer ses choix, arpente les ruelles de la ville. Chaperonnée par son frère cadet, elle se rend à sa cérémonie de remise des diplômes. Nourri d’oppositions multiples « Diploma » montre avec justesse les difficultés de vivre dans un endroit où le sentiment de liberté semble intimement refoulé. La soumission de la jeune fille renvoie à toutes les soumissions possibles ; celle de la femme dans une société traditionnelle, celle d’un peuple à un autre, celle d’une religion à une autre. Le film de Yaelle Kayam est une prise de risque intéressante qui prouve encore une fois qu’art, éducation et culture sont bien les choses les plus révolutionnaires du monde.
Sliding Flora, de Talya Lavie
Le temps d’un court, le génie et l’audace de Talya Lavie insère la sculpture « The Monster » de Nikki de Saint Phalle dans une histoire un brin excentrique. La poésie et l’humour de la plasticienne française sont littéralement au service de ce petit film hilarant. Flora travaille comme serveuse dans un endroit qui requiert agilité acrobatique et adresse stylistique. Malheureusement, cette Fifi Brindacier au visage constellé de taches de rousseurs, ne possède aucun de ces talents, et même sa mythomanie ingénieuse paraît déranger le patron, agacé par ce désastre ambulant. Seul Anton, le cuisinier russe, semble comprendre et apprécier sa différence. Inadaptée et inexpérimentée, cette jeune fleur née dans un champ selon ses dires, pousse et déambule au gré de ses désirs et de ses envies devant l’indifférence générale. Du regard de la cinéaste israélienne, jaillit tout un univers tragi-comique qui révèle, par petites touches sensibles, les failles d’un monde presque parfait.
Sabbath Entertainment, de Michal Brezis et Oded Binnun
La veille de Shabbat, Rachel décide de sortir avec ses copines à l’insu de ses parents très religieux. Rebelle, elle enfreint délibérément les règles proscrites et monte dans la voiture des jumelles Lilach et Yael. Quand leur véhicule atterrit dans le fossé, l’adolescente est obsédée par l’idée de dissimuler sa présence sur les lieux de l’accident, malgré la gravité de la situation. Admirablement interprété et mis en scène, « Sabbath Entertainment », le film du tandem Brezis-Binnun opère des choix scénaristiques radicaux. Les auteurs s’amusent à y déchirer petit à petit le voile des apparences pour mieux percer à jour les non-dits et les interdits portés par leur jeune héroïne, partagée entre la confrontation de la réalité et la persistance dans le mensonge. Au-delà des convenances, leur film dénonce habilement le danger du fanatisme religieux et ses incidences sur le comportement extrême d’une adolescente en quête d’identité.
Vika, de Tsivia Barkai
« Vika » est l’histoire tragique et fascinante d’une enfant qui a soif d’amour et faim de tendresse. Traité avec beaucoup de réalisme, ce sujet grave aborde l’enfance délaissée et les frontières invisibles qui la séparent du monde extérieur. Placée dans un centre pour enfants, Vika décide de rendre visite à sa mère qu’elle n’a pas vu depuis un certain temps. Lorsqu’elle se retrouve face à une femme ivre et négligée, la fillette revêt les responsabilités maternelles et se charge de faire cesser les pleurs de sa petite sœur affamée. Marqué par une réalité rugueuse, le portrait de Vika rayonne d’une douceur à fleur de peau. Dans son film aux tonalités de couleurs furtives, Tsivia Barka raconte la douleur d’une existence difficile à laquelle la fuite est un refuge idéal. Vika enlève sa petite sœur et tel un tableau renaissant, le regard profond tourné vers l’avenir, elle parcourt le chemin obscur qui mène droit vers la lumière.
Tolya, de Rodeon Brodsky
Quelque part en Israël, des ouvriers russes appellent leur douce moitié pour la féliciter, à l’occasion de la journée de la femme. Quand c’est au tour de Tolya de parler à son épouse, son message d’amour est inaudible à cause d’une dent tombée le matin même. D’une facture foncièrement réaliste, le film de Rodeon Brodsky s’impose par la figure charismatique, tendre et comique de Tolya, un homme à l’œil nostalgique et au sourire malicieux. Alliant douceur du silence et élégance des gestes (un sifflement suffit pour dévoiler toute l’émotion qui se cache derrière le combiné), « Tolya » dresse une peinture édifiante des immigrés russes en Israël. Le cinéaste mêle avec habileté le monde viril des ouvriers à la sensibilité touchante du protagoniste nourrissant le film d’une belle simplicité. Un voyage impudique à travers l’âme d’un homme marqué par le temps et l’absence de l’être aimé.
Himnon, de Elad Keidan
Au travers d’une logique narrative simple et contemplative, Elad Keidan désire filmer la vie, au fil du temps qui passe. Sa caméra plantée en face d’une route qui unit très certainement un bout de terre à l’autre, capte la banalité du quotidien, à la croisée d’un anonymat universel. Amnon, le bon samaritain s’en va chercher une boîte de lait chez l’épicier du coin. Sur sa route, un certain nombre d’évènements viennent alimenter sa journée à l’apparence ordinaire. Les mouvements légers d’un quartier sans histoires filmés en plan éloigné et parcourus par des répétitions obsessionnelles, rythment ce moyen-métrage qui ne fait aucune concession sur sa lenteur. Puis soudain, le rituel, les répétitions et même l’indolence initiale semblent se briser pour donner lieu à une histoire plus personnelle, plus subjective, et le plan éloigné se rapproche alors du protagoniste en proie à une petite crise existentielle. Le cinéaste défarde habilement la réalité révélant, à la tombée du jour, l’envol du désir de tout un peuple.
Article associé : l’interview de Mihal Brezis