Le 16 mars 2009, soixante-dix ans après la mort de Georges Méliès, lorsque son oeuvre passe dans le domaine public, Lobster Films sort un coffret événement en l’honneur du pionnier du cinéma primitif, au même titre que les frères Lumière et Charles Pathé. Au travers de ses cinq disques, le coffret propose la quasi-totalité des films existants de Méliès. Prolifique, captivante et empreinte du charme de jadis, sa filmographie comportait originellement près de 600 courts métrages, 173 des survivants se retrouvent ici, couvrant une palette large allant du très court au moyen métrage, du pseudo-documentaire au fantastique pur, de l’actualité proche à la rêverie exotique. En guise de bonus : un docudrame nommé « Le Grand Méliès » (1953), signé Georges Franju. Revue sélective d’une sélection quasi exhaustive.
Tranche de vie : la veine documentaire
Au contraire de Pathé-Gaumont et des frères Lumière, les films de Méliès explorent rarement le mode documentaire authentique. En raison des moyens limités de cet auto-producteur et homme-à-tout-faire, tous ses films dits documentaires sont en vérité des reconstructions mettant en scène des situations réelles. Dès son premier film, « Une partie de cartes » (1895), Méliès manifeste une volonté d’explorer et de montrer tout l’artifice de ce médium naissant. Si ce premier essai filmique met en scène trois amis en plein jeu de cartes, les expressions théâtrales et les regards confus vers la caméra trahissent toute tentative de réalisme.
Méliès explore cette voie tout au long de sa carrière et toujours avec des moyens réduits, ce qui rend des résultats aussi divers que « Entre Calais et Douvres » et « La Prise de Tournavos » d’une part ; et « L’Affaire Dreyfuss » et « Le Sacré d’Édouard VII » de l’autre. Ce dernier exemple confond ses scènes reconstruites avec des images d’archives du couronnement du premier roi britannique du vingtième siècle. Alors que la vraisemblance échappe à ces films, leurs décors peints, leur jeu sémaphorique et leurs prises de vue frontales sont marqués d’emblée par l’esthétique primitive que l’on retrouve jusqu’aux tous débuts du film parlant, plus de trente ans après. « Panorama pris d’un train en marche », expérience sur la technique du travelling, est peut-être le seul véritable documentaire de Méliès, dans la mesure où il y montre sans mise en scène le paysage défilant devant la caméra.
Méliès, prestidigitateur
Vu la fascination de Méliès pour l’art de la magie spectaculaire, il n’est nullement étonnant que grand nombre de ses films traitent directement de ce genre de spectacularisation. Ces films fonctionnent principalement par des innovations dans les procédés de montage et représentent une part importante de la filmographie de Méliès. À titre d’exemples : « Escamotage d’une dame chez Robert-Houdin », « Le Magicien », « Illusions fantasmagoriques » ou encore « Le tonneau des Danaïdes ».
La cinémagie
Développant l’idée de magie, Méliès découvre dès 1899 le « spectacle cinématographique » qu’il explore de manière particulièrement divertissante, à travers de nombreux films qui proposent des exploits inimaginables que seul le montage rend possible. La première de ces expériences, « Le portrait mystérieux » présente déjà une occurrence précoce du film dans le film ou la fameuse technique de mise en abyme. Si « L’homme orchestre », « L’équilibre impossible » et « Le Mélomane » divertissent par leur dimension spectaculaire, les films comme « La vengeance du gâte-sauce », « Le déshabillement impossible » et « Le réveil d’un monsieur pressé » offrent plutôt le gag comique dans la veine de l’arroseur arrosé.
Des vignettes de fiction au film fantastique
Indiscutable inventeur du film fantastique, Méliès se hasarde à la fiction tardivement, prudemment et avec un succès mitigé. Ses premiers essais, comme « Le château hanté », sont dotés d’un fil très maigre, se présentant plutôt comme des petits germes de fiction que de véritables scénarios. Petit à petit, à l’aide de « La lune à un mètre » par exemple (qui, avec ses décors dessinés mouvants, présage déjà l’animation), le réalisateur se dirige vers des fictionnalisations plus complexes, jusqu’à l’ultra célèbre et prophétique « Voyage dans la Lune » (1902). Connu mondialement pour ses plans emblématiques – notamment celui de l’œil lunaire transpercé par une fusée –, ce film représente à la fois une avancée majeure et le point culminant dans la carrière de Méliès sur le plan narratif.
Filmer à travers le trou de serrure
Le cinématographe a vite dévoilé sa capacité de représenter le non montrable : le cinéma primitif est parsemé de courts métrages scrutant l’espace intime de ses sujets. Dans le cas de Méliès, cette tendance va des innocents « Nuit terrible » et « Le Cauchemar » jusqu’au voyeurisme sensuel du déshabillement d’« Après le bal ». De nombreux thèmes autour du tabou lié à la religion sont également au rendez-vous : « La Tentation du Saint Antoine », « Le diable au couvent », « Les Trésors de Satan ». Sous forme de mystères médiévaux, ces films opèrent en quelque sorte une satire sur les mœurs fin de siècle dans leur sujet, tout en s’appuyant sur la technique du montage pour représenter leur contenu surnaturel.
L’histoire revisitée : les contes filmés
Tout-puissant, le montage permet également à Méliès de se confronter aux contes féeriques et exotiques et de leur donner une représentation aussi réaliste que ce que l’imagination peut conjurer. Ainsi, l’aventure « pantouflée » de « Cendrillon », la vision de « Jeanne d’Arc » et l’odyssée hilare de Gulliver (« Le Voyage de Gulliver à Lilliput et chez les Géants ») trouvent chacune leur première représentation filmique relativement tôt dans l’histoire du cinéma.
Consulter les fiches techniques de « Une partie de cartes », « Le portrait mystérieux », « Le Voyage dans la Lune » et « Après le bal »
DVD disponible sur le site de Lobster Films