Tout commence assez simplement : une petite blonde, combinaison fleurie vient acheter un matelas Queen Size à une grande brune élancée dans son jean. Mais lorsque les imprévus d’organisation s’enchaînent, la banale transaction se transforme en un mini-périple qui dépasse vite le cadre de l’ameublement. Dans ce film qui s’est frayé un chemin jusqu’aux nomination des César, une sensation d’improvisation, d’urgence de vie nous prend au vol. Un matelas à déplacer, pas de voiture, pas le temps et une décision impulsive plus tard, les deux femmes que tout semble opposer se retrouvent ensemble dans la rue bien décidées à dompter à deux et à pied l’encombrant objet.
C’est une rencontre inopinée de deux personnes à un tournant compliqué de leurs vies : Charlie, interprétée par India Hair, en deuil de sa dernière parente qui lui a laissé un appartement et Marina, campée par Raya Martigny, obligée par économie de revenir chez ses parents. Ce matelas devient alors un pont qui les relie, les accompagne dans chaque étape d’un parcours physique et émotionnel. Depuis l’appartement fraîchement vidé de l’une à la chambre nouvellement meublée de l’autre, nous suivons au plus près les personnages et leur route au rythme de laquelle la distance sociale s’envole peu à peu. Poussées par ce temps de coopération imprévue, elles s’ouvrent petit à petit et des liens se nouent autour de ce déplacement de mobilier. Là où l’une doit laisser tomber sa possession, l’autre la récupère pour son nouvel abri. « A l’abri », comme elle le dit mais peu comblée dans un confort dont elle est presque lassée et que sa congénère, comme une lionne sur le point d’être remise en cage, envie. Un peu perdues et désabusées, les femmes s’échangent des bribes de leur vie, se découvrent, se rendent compte qu’elles ne sont peut-être pas si différentes.
Tout cela est joué avec un naturel très fort qui donne la sensation d’y être, d’être aux côtés des personnages. En toute simplicité on est propulsés avec elles au milieu des cafés et des boutiques, dans ce chemin tortueux aux multiples à-coups, sensation appuyée par des plans très rapprochés et une caméra fluide qui s’adapte aux mouvements des personnages. Ce réalisme est même parfois déroutant principalement dans les premières minutes du film où l’on se croirait presque comme un personnage invisible qui espionne la discussion. Passée cette première impression, le film séduit vite par sa sincérité. En même temps que les deux héroïnes discutent, nous apprenons à les connaître, entrevoyons leurs passés, leurs échecs, leurs aspirations. On ne connaîtra longtemps pas leurs noms et pourtant leur charme nous emporte, suffit à rendre leurs rôles attachants, touchants. Elles-mêmes s’apprivoisent : d’abord gênées, prises dans des échanges conventionnels, elles deviennent peu à peu troublées l’une par l’autre. Entre celle corsetée de manières et celle qui tutoie directement, une complémentarité se créé. L’objet qui gardait un espace de sécurité entre les deux évolue lui aussi et finit par les rapprocher et envoyer voler la bienséance lorsqu’elles s’étalent de tout leur long dessus après leur longue marche. Leurs deux mondes s’entrechoquent et leurs corps se rapprochent, brouillent les limites, les distances entre les peaux.
C’est le début d’une friction, d’une étincelle, d’un moment d’échappatoire pour ces personnages à l’étroit dans les normes. Charlie, stressée et propre sur elle est mise devant ses réelles envies lorsque Marina, plus franche et directe entre pas à pas dans son univers, son salon et même ses songes alors qu’elle s’assoupit sur le fameux matelas. Le film délaisse alors son réalisme pour une scène plus onirique jouant de symboles sur les routes de la vie. Un début d’histoire d’amour qui pourrait sauver ces personnages d’une vie subie ? Si la fin assez ouverte nous laisse compléter le destin de ces héroïnes ordinaires, la réalisatrice leur réserve déjà de nouvelles aventures dans long-métrage en préparation, Les Matins merveilleux où le duo d’actrices et de personnages partagera à nouveau l’écran.